Délicieusement britannique, ce disque nous transporte d’emblée dans un univers sonore inconnu de ce côté-ci de la Manche. Michael Head (1900-1976) est l’un de ces petits maîtres dont la réputation reste confinée aux pays anglophones, où l’on aime encore à interpréter ses mélodies, en particulier « The Singer », a capella. Kathleen Ferrier, à qui il dédia « October Valley », incluait parfois dans ses récitals « The Little Road to Bethlehem » ; il composa ses Three Songs of Venice pour Janet Baker, qui a notamment enregistré « A Piper ». Allant de 1918 à 1974, la sélection enregistrée ici couvre toute sa carrière de compositeur.
Head publia en 1919 sa première mélodie, puis mena carrière comme chanteur et pianiste. Outre ses compositions pour orchestre, on lui doit notamment dans le domaine vocal un opéra pour enfants, The Bachelor Mouse (1951), la cantate Daphne and Apollo (1964), ainsi que divers opéras satiriques en un acte, tous sur des livrets de sa sœur Nancy. Michael Head composa plus d’une centaine de mélodies, pour les textes desquelles il choisissait en général des poètes très mineurs, avec quelques exceptions : Thomas Hardy, pour « The Garden Seat », James Joyce pour le recueil Chamber Music, dont on entend ici « Lean out of the window », et Christina Rossetti, qui lui inspira « A Green Cornfield » et « Love’s Lament ». Musicalement, on se situe dans un climat post-fauréen, avec des échos debussystes dans « Oh, for a March wind », sans jamais sortir du domaine rassurant de la tonalité ; son vif intérêt pour Wozzeck l’amena tout au plus à oser quelques dissonances vers la fin de sa vie.
Sur les 27 plages de ce disque, onze sont dévolues à la soprano, huit à la mezzo, huit au baryton. Dans Béatrice et Benedict à l’Opéra-Comique, la soprano irlandaise Ailish Tynan avait laissé une impression mitigée. Elle n’a pas à affronter ici les difficultés dont Berlioz a hérissé le rôle d’Héro, mais un aigu plus généreux n’aurait pas été malvenu. C’est à elle qu’échoit le très beau cycle Over the Rim of the Moon, sur des poèmes de Francis Ledwidge ; on en retient notamment « The ships of Arcady », avec ses délicats mélismes orientalisants. La mezzo Catherine Wyn-Rogers n’appelle pas les mêmes reproches que sa consœur. Ses trois mélodies de Venise sont superbes, même si elle n’a peut-être pas toute l’opulence vocale de ses illustres devancières mentionnées plus haut. Elle met particulièrement bien en valeur les vers répétés de « The Garden Seat », et livre un très beau « Love’s Lament ». Le baryton Roderick Williams manifeste lui aussi de grandes qualités de timbre et de diction, qui trouvent à s’illustrer autant dans la vigueur que dans la tendresse, avec « Tewkesbury Road » ou « The Viper ». Avec cette voix masculine plus encore, on se sent souvent tout près des harmonies de Britten.