Dans le livret d’accompagnement, Graham Johnson relate sans faux-semblants la manière dont ce disque a été composé. Pour une fois, nous n’avons pas droit à ces interviews truquées, dictées par les lois du marketing, où une interprète prétend avoir elle-même passé des heures en bibliothèque pour découvrir des trésors enfouis qu’elle vient révéler au public. Les choses sont ici claires : c’est le pianiste qui a mis à la disposition de la chanteuse les partitions pour mezzo dont il disposait (quelques-unes, à l’origine pour soprano ou ténor, ont été spécialement transposées). Alice Coote est arrivée avec un certains nombre de mélodies qu’elle tenait à enregistrer (le Vaughan Williams, Quilter et certains Warlock) ; les noms les plus célèbres ont été délibérément évités (Britten, Frank Bridge, John Finzi…), même s’il y a là du Elgar et du Gustav Holst, et même si Percy Grainger n’est pas un nom totalement inconnu. Graham Johnson explique également que l’ordre du programme a été choisi par les artistes, et non déterminé après coup par la production. Balayant la mélodie anglaise de 1880 à 1930, le programme aurait dû s’achever sur « Lights Out » d’Ivor Gurney, mais l’idée de rajouter Holst, avec son univers musical entièrement différent, leur est venue à la dernière minute, d’où un minutage généreux et un total de 27 plages au lieu de 25.
Plus peut-être que sur la peinture qui orne la couverture, due au pinceau de Marc Coote, père de la chanteuse, on s’attardera sur la mine de renseignements qu’est ce livret, avec ses biographies détaillées de chaque compositeur, illustrées de photographies. Mieux vaut maîtriser l’anglais, bien sûr, puisque rien n’est traduit. Mais Hyperion a dû penser que ceux qui voudront jeter une oreille seront forcément un tantinet anglophones. Sans doute n’a-t-il pas tort, hélas, mais la perte sera pour ceux qui renonceront à goûter à ces exquis bonbons anglais. Le disque s’ouvre ainsi sur le délicieux « Love’s old song », qui a quelque chose de puccinien dans sa courbe mélodique. De manière générale, il y a beaucoup de sensualité dans ces musiques aux contours sinueux, sur des poèmes souvent dus à des plumes illustres (Shakespeare, Byron, Shelley, Tennyson, Browning, Dante Gabriel Rossetti).
Abonnée aux rôles travestis germaniques (Hänsel, Octavian) ou italiens (Idamante, Orsini), découverte dans la musique ancienne où elle s’est affirmée (un superbe Ruggero d’Alcina à Stuttgart en 1999, un Nerone de Monteverdi à Glyndebourne en 2008, voir recension), Alice Coote n’a pas en France la réputation qu’elle mériterait. Elle a peu chanté dans notre pays, et l’une des rares fois où elle s’est produite à Paris a coïncidaient avec un ratage quasi complet, lorsqu’elle fut Sesto dans le Giulio Cesare d’Irina Brook au TCE en 2006. L’actrice est pourtant stupéfiante (en Ruggero, beaucoup se sont demandé s’il s’agissait réellement d’une femme ou d’un jeune garçon), et cela s’entend dans des mélodies pince-sans-rire comme « Hypochondriacus » ou « Pa’s Bank ». Plus important encore au disque, le timbre est voluptueux et charnu, avec juste assez de raucité ici et là pour retenir l’attention, comme la saveur poivrée qui pointe à travers le goût suave d’une sucrerie d’Outre-Manche.