Reflet du séminaire « Transe, ravissement, extase », organisé à Ambronay les 16 et 30 septembre 2005, prolongé par des réunions plus informelles durant l’année 2006, ce volume assez mince (110 pages) rassemble sept communications précédées d’une brève introduction due à Marianne Massin, également auteur d’un des textes. Sur les sept, deux portent sur la dimension ethnographique de la transe, dans la civilisation arabo-musulmane et au Brésil : rien à voir avec l’opéra, donc. Le dernier essai, consacré à la virtuosité pianistique chez Liszt, ne se rattache à l’art lyrique que par des considérations sur la Tarentelle di bravura d’après un extrait de cette Muette de Portici qu’a récemment exhumée Salle Favart, la tarentelle d’Auber étant instrumentalisée par Liszt « pour construire la position charismatique de l’artiste romantique » (p. 95).
Reste donc quatre articles portant plus ou moins sur l’opéra, avec plus ou moins de bonheur. Marianne Massin propose « quelques pistes de réflexion sur la valeur et les enjeux de l’émotion dans l’écoute musicale occidentale » (p. 36), et illustre notamment son propos en se penchant sur La Flûte enchantée. Le ravissement y est bien sûr présent à travers « la puissance d’une musique quasi ensorcelante », celle des instruments magiques, emprise extérieure relevant du sortilège, mais « lorsque cesse l’opéra, l’auditeur n’est plus tout à fait le même, il a été subtilement transformé par un transport qui ne cesse pas avec les notes » (p. 42-43) : la musique de Mozart oblige « chacun à percevoir le meilleur de l’autre, à découvrir aussi le meilleur de lui-même […] Le ravissement serait donc dans le bonheur d’une écoute qui saisit chacun et le transporte vers un accomplissement pressenti, non encore défini » (p. 43).
Sylvie Pébrier s’intéresse, elle, à la notion de ravissement dans l’opéra baroque, par le biais de deux figures, celles d’Orphée et d’Ulysse (et surtout des sirènes). Premier constat : le ravissement se traduit souvent par l’endormissement, la passivité totale, comme c’est le cas pour Charon dans l’Orfeo de Monteverdi, pour Renaud dans l’Armide de Lully. « La musique aurait un effet semblable au sommeil qui à la fois me coupe de moi et me ramène à moi » (p. 51). Le ravissement opératique propose aussi une expérience du retour à un paradis perdu : « Les scènes baroques proposées offrent un miroir où se révèle notre désir de retrouver une expérience ineffable » (p. 53).
Dans sa « Dramaturgie de la bouche », Pierre Kuentz se livre d’abord à une fascinante réflexion sur le temps dramatique de l’air d’opéra, « immobilisation du drame et densification du chant […] retour d’une hantise charmante, souvenir d’une interprétation reconstruite et idéalisée, ‘désenfouissement’ d’une voix perdue » (p. 56). Hélas, son texte bascule vite dans le verbiage alambiqué et fumeux : « Cavatine, trou chantant de ce sein qu’on dit halluciné par le petit enfant d’homme qui veut l’autre qui ne vient pas » (p. 59)…
Le très savant article de Violaine Anger nous ramène en territoire plus sérieux : elle y oppose deux conceptions du ravissement musical, l’une nordique, allemande, wagnérienne, l’autre méridionale, française, rossinienne. « D’un côté donc, engourdissement dans une mer de son, qui est elle-même le Tout, unité universelle du monde ; de l’autre, attention au style, à la manière de la musique, recherche de variété, où la comparaison culinaire est sous-jacente » (p. 67). D’une part Schopenhauer et un « unisson vibratoire avec le monde » (p. 70), d’autre part les sensualistes comme Stendhal et une conscience de soi portée au maximum, « dans une jubilation qui lui fait éprouver pleinement son unité » (p. 74). Comme disait Isolde, Unbewußt, höchste Lust !