Andreas Scholl a passé 40 ans, et chante ici, en souvenir de ses jeunes années et de son passage dans les chœurs d’enfants, quelques pages célèbres extraites des cantates de Bach. La démarche est touchante et dit bien l’émerveillement qu’il rencontra enfant au contact de cette musique extraordinaire, qui peut émouvoir à tout âge et pour des raisons diverses, tant ceux qui la comprennent en profondeur que ceux qui l’abordent intuitivement, avec candeur.
La cantate BWV 82, une des plus belle que Bach ait composée, est originellement écrite pour voix de basse (1727), et dans des versions ultérieures, pour soprano (1731) ou alto (1735), la flûte remplaçant alors le hautbois solo. Si la transposition vocale des deux premiers airs ne pose pas de problème, elle oblige le soliste, dans le troisième, à des passages en voix de poitrine qui ne sont guère satisfaisants. La seconde cantate complète de cet enregistrement est, quant à elle, originellement pour alto. Elle est surtout célèbre pour sa sinfonia initiale, pièce de bravoure pour orgue concertant, ici un peu décevante. Le disque est complété par une ouverture et trois airs isolés tirés d’autres cantates.
Les carrières des contre-ténors sont généralement courtes, comme celles de ces grands sportifs qui perdent une partie de leurs moyens dès que la souplesse musculaire vient à leur faire défaut. C’est la cruelle loi de l’âge, et Scholl n’y échappe pas complètement; il consacre d’ailleurs de plus en plus de temps à l’enseignement. Bien sûr, la voix reste belle, mais elle a perdu en assurance et en souplesse, et on sent le chanteur négocier avec prudence les passages difficiles, les grands intervalles descendant, par exemple ; le registre grave manque d’ampleur et l’aigu de brillant, on ne retrouve que par bribes la superbe ardeur juvénile qui avait marqué le début de sa carrière, et attiré vers ses concerts et ses enregistrements un public nombreux et passionné ; les couleurs sont moins chatoyantes, la circonspection a remplacé l’audace. Son intelligence musicale lui permet de combler ces quelques manques, mais l’enthousiasme n’est pas sans réserve. On est assez loin du superbe enregistrement qu’il réalisa en 1997 avec Philippe Herreweghe et ses troupes (cantates 170, 54 et 35) pour Harmonia Mundi. Il faut souligner en outre que l’orchestre de chambre de Bâle n’est pas le Collegium Vocale ; le discours musical manque un peu de rhétorique et de sens du texte, pour ne pas dire d’intensité religieuse.