Bush bée
par Jean-Michel Pennetier
Connaissez-vous Nance Grant ? Moi non plus. Ne cherchez pas dans Wikipedia : vous n’y trouverez rien. Née on ne sait trop quand, Nance Grant commence une carrière de soprano en Australie dans les années 50 : un premier prix local la récompense en 1957 ; elle chante pour ABC Television à partir de 1962 (L’Enfant prodigue) ; après un petit tour par Bayreuth en 1974, pour étudier le répertoire wagnérien, elle devient une des artistes principales de la troupe de l’Opéra de Victoria, basé à Melbourne où elle réside ; de 1975 à 1982, année qui semble être celle de la fin de sa carrière, elle s’y produit en langue anglaise ; parallèlement, elle chante également à l’Opéra de Sidney, de 1971 à 1982, participant d’ailleurs au concert inaugural du nouveau théâtre en 1973. Nance Grant dispose d’un répertoire relativement réduit mais impressionnant par la difficulté des rôles qui le composent, plutôt dans le registre du soprano-lyrico-dramatique (si tant est que ce genre de classification ait un sens) : Sieglinde, Amelia du Bal masqué, Ortrud, Senta, Ariadne, Leonore de Fidelio côtoient la Comtesse des Noces, Elizabeth de Tannhauser, Alice Ford, Donna Anna, et plus étonnant encore Elettra ou Elisabetta de Maria Stuarda. Dans ce rapide panorama, il ne faut pas oublier non plus des récitals consacrés au lied ou à la mélodie.
Cantonnée à l’Australie, le parcours de Grant ne rencontre que rarement quelques noms connus : Charles Mackerras, Edward Downes, Geoffrey Parsons … Encore plus « popote » que sa compatriote, Dame Joan, Grant a préféré une vie bien rangée à l’agitation forcenée de la carrière internationale qui s’ouvrait pourtant naturellement à elle compte tenu de ses moyens. De plus, elle a chanté relativement peu, d’autant qu’elle préparait longuement chaque nouvelle partition : il s’en suit que les extraits proposés ici frappent par la maturité de l’interprétation alors que, bien souvent, il s’agit d’une prise de rôle.
Les extraits proposés dans cette compilation sont de provenances variables : retransmissions radio de concerts publics ou non, enregistrements de répétitions et peut-être même magnétophone sur les genoux. Néanmoins la qualité est assez homogène, le premier CD (dédié à Grieg, Hageman et Strauss, avec le piano de Geoffrey Parsons) étant le meilleur de ce point de vue. Globalement, le rendu est correct, mais jamais exceptionnel : l’écoute se fait sans aucune gêne mais on est un peu étonné d’un son qui se rapproche davantage des bons « lives » de la Scala des années 50 que de ceux du Metropolitan dans les années 80.
Il suffit de quelques plages au hasard pour comprendre l’intérêt de cet hommage. D’emblée, on est frappé par un timbre opulent, une voix puissante mais agile (comme en témoigne l’extrait de Maria Stuarda), un grave et un bas médium profonds alliés à un aigu lumineux, une parfaite homogénéité des registres. On trouvera sans problème des interprètes plus idiomatiques (en particulier dans le lied), plus attentifs au mot, de plus grandes diseuses en somme : l’approche de Grant repose en effet avant tout sur la musicalité et le timbre, ce qui l’apparente à une école de chant un peu révolue. Si les exotiques Elisabetta ou Elettra frappent par la qualité de leurs vocalises, au point de faire oublier qu’elles sont interprétées en anglais (ce qui n’est pas un mince exploit), c’est surtout dans Wagner que Grant se révèle à son meilleur (la soprano, rappelons-le, ayant été « coaché » à Bayreuth) : les extraits de La Walkyrie donnent d’ailleurs envie d’entendre la totalité du rôle.
Finalement, voilà sans doute le plus beau compliment qu’on puisse faire à cette compilation : on en redemande !
The Art of Nance Grant
Nance Grant
soprano
Edvard Grieg (1843-1907)
« I Love Thee » Melodies of the Heart Op. 5 No. 3
« With a Waterlily » Op. 25 No. 4
« Two Brown Eyes » Melodies of the Heart Op. 5 No. 4
« Solveig’s Song » Peer Gynt Op. 23
«A Dream » Op. 48 No. 6
Richard Hageman (1881–1966)
« Charity »
« Music I Heard »
« At the Well »
« Do Not Go, My Love »
« Miranda »
Richard Strauss (1864–1949)
« Ich Schwebe » Op. 48 No. 2
« Meinem Kinde » Op. 37 No. 3
« Die Nacht » Op. 10 No. 3
« Die Georgine » Op. 10 No. 4
« Wie Sollten geheim sie Halten ? » Op. 19 No. 4
« Glückes genug » Op. 37 No. 1
« Schön sind, doch kalt » Op. 19 No. 3
« Waldseligkeit » Op. 49 No. 1
« Wiegenlied » Op. 41 No. 1
Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
« You’re lost now, Idomeneo » Idomeneo, re di Creta
« Wayward lover now returning from another to my side » Idomeneo, re di Creta
Ludwig van Beethoven (1770–1827)
« Come, let not thy last great star » Fidelio
Gaetano Donizetti (1797–1848)
« Yes, but the French prince is seeking both my heart and my Kingdom… » Maria Stuarda
Richard Wagner (1813–1883)
« Dich, teure Halle » Tannhäuser
« Der Männer Sippe » Die Walküre avec Jon Weaving, ténor
« Du bist der Lenz » Die Walküre
Richard Strauss (1864–1949)
« A Wonder Was » Ariadne auf Naxos
« There is a Land » Ariadne auf Naxos
Felix Mendelssohn (1809-1847)
« Hear Ye, Israel » Elijah
Richard Wagner (1813–1883)
« Der Engel »
« Stehe still ! »
« Im Treibhaus »
« Schmerzen »
« Träume »
Wesendonck-Lieder (orch. Mottl & Wagner)
Orchestres et chefs divers
Piano : Geoffrey Parsons
Enregistrements effectués en Australie entre 1974 et 1982
2CD Melba Recordings MR301135-6130 mn