Sorti en 2010, ce disque refait opportunément surface alors que paraît, également chez Berlin Classics, un nouveau récital de Christiane Karg, consacré à Mozart, Grétry et Gluck, Amoretti (recension à paraître prochainement). La soprano bavaroise est bien soutenue par sa maison de disques, et pour une fois, c’est à juste titre, parce qu’elle le vaut bien. Pourtant, les premières secondes font un peu peur : quand on entend les intonations sarcastiques et nasillardes de la chanteuse dans « Schlechtes Wetter », de Strauss, on se dit que Fraulein Karg va nous refaire un numéro dans le goût de celui qui l’avait fait découvrir à Salzbourg en 2006, lorsqu’elle interprétait un diable écarlate et cornu dans Die Schuldigkeit des ersten Gebots, de Mozart. Heureusement, ce n’est là qu’une des facettes de son talent, comme le montrait d’ailleurs ce spectacle, puisque Le Devoir du Premier Commandement était couplé avec Apollo et Hyacinthus, où Christiane Karg enchantait les spectateurs avec l’un des rares airs mémorables de cette partition, « Laetari, iocari ».
Et puisque le disque fut enregistré en 2009, on ne peut pas non plus reprocher à ses concepteurs d’avoir voulu imiter Marlis Petersen (elle aussi révélée à Salzbourg en 2006, dans Il rè pastore) et son récent récital de lieder sur des textes de Goethe, Das Ewig-Weibliche (voir recension). Enregistré en octobre 2010, l’excellent disque de madame Petersen est bien postérieur à ce bouquet de lieder-ci, dont le fil conducteur n’est pas l’auteur des différents poèmes, mais le parcours qu’ils proposent à travers les quatre saisons. Par-delà l’indispensable prétexte, ce thème permet aussi d’évoluer de la grâce primesautière des évocations du printemps (près d’un tiers des morceaux) et de la plénitude estivale à la mélancolie automnale, voire à la gravité hivernale (la moins longuement explorée, avec seulement quatre mélodies), sans dramatisme excessif, qui malmènerait la voix légère de la soprano. Point commun avec Das Ewig-Weibliche : si Marlis Petersen balayait plus près de deux siècles de création, avec des mélodies composées entre 1821 et 2008, Christiane Karg fait presque aussi bien, avec un programme allant de Schubert à Ligeti, en passant par des noms qui commencent à être bien connus (Zemlinsky, Schreker) ou dont les lieder intéressent enfin les chanteurs (Pfitzner, Max Reger).
Ce florilège contourne donc la difficulté du disque monographique et permet quelques fort belles découvertes, avec des mélodies qui ne comptent pas forcément parmi les plus rabâchées : de Hugo Wolf, un magnifique « Er ist’s », rejoint en fin de parcours par un très beau « Auf eine Christblume », dans un tout autre registre ; un superbe Schreker, deux Zemlinsky extraordinairement susurrés. Les Pfitzner sont d’intérêt inégal : le premier ne retient guère l’attention, mais le second est bien plus attrayant. Les lieder de Max Reger peinent à accrocher l’oreille, ce qu’on ne saurait dire de « Über die Heide » de Brahms, avec son étrange boitillement du piano. On saluera à propos le jeu perlé de Burkhard Kehring, accompagnateur brillant. Dommage que le texte des poèmes, dus aux plus grandes plumes germaniques (Hölderlin, Lenau, Heine…), figure uniquement en allemand !