Opéra, genre protéiforme qui tente de concilier tous les arts en seul. Partant de cet embryon de définition, il n’est pas étonnant que Danielle Buschinger ait intitulé l’Opéra d’une vie le livre qu’elle vient de consacrer à Richard Wagner. Tout à la fois biographie, essai, étude et dictionnaire amoureux, son ouvrage se présente comme un melting-pot de formes littéraires pour un résultat unique en son genre. L’approche semble au premier abord inviter à une lecture linéaire mais très vite le propos se fragmente et la démarche devient plus thématique que chronologique. Chaque nouvel opéra donne notamment lieu à une longue analyse littéraire qui, aussi intéressante soit-elle, détourne le récit de son cours biographique. L’ouvrage se conclut par l’histoire du Festival de Bayreuth de 1883 à nos jours avec la description des mises en scène qui en forment les jalons. Revient alors à l’esprit la question qui ouvrait l’avant-propos – « Pourquoi ce livre, après tant d’autres, sur Richard Wagner ? » – suivie de cette réponse : « Pour mon plaisir et pour compléter ou rectifier notre connaissance de ce géant ».
En termes de plaisir, disons que celui de l’auteur et du lecteur peuvent parfois diverger, d’autant que le style d’écriture de Danielle Buschinger, par ailleurs médiéviste et professeur émérite à l’Université de Picardie-Jules Verne, tient avant tout de la thèse doctorale. Et puisqu’il s’agit moins de lire que d’apprendre, n’aurait-il pas mieux valu se limiter à l’essentiel, c’est-à-dire à tout ce qui est censé compléter nos quelques connaissances wagnériennes ?
Sans prétendre avoir lu tous les livres sur Wagner – qui le peut d’ailleurs ? –, il nous semble que l’intérêt majeur de celui-ci réside davantage dans l’exégèse que dans la citation de certaines déclarations sujettes à caution. Ainsi on apprend en fin d’ouvrage que « c’est à Bayreuth que Wagner a le plus de chances d’être bien joué et chanté » quand tout démontre aujourd’hui l’inverse ou en conclusion du deuxième chapitre que « la vraie femme de Richard Wagner a été Minna ». En revanche, l’analyse des livrets – sources littéraires, genèse, étude des personnages et de l’action, interprétation… – s’avère riche d’enseignements. Les mythes de Parsifal, Tristan ou Lohengrin, disséqués, étudiés tout au long de leur transmutation ne cessent de captiver. Les correspondances tissées entre les opéras aboutis et ceux restés à l’état de projet sont tout aussi édifiantes. Derrière Jésus de Nazareth, Achille ou Alexandre, on retrouve comme des leitmotivs les idées chères à Wagner, notamment celle de la rédemption par l’amour qui motive Tristan autant que Der Ring des Nibelungen. La large part réservée aux écrits théoriques aide à compléter ce panorama de la pensée wagnérienne. De musique, il est peu, voire pas, question. L’auteur nous a mis en garde dans cette préface qui tient lieu de manifeste : « Je laisse de côté l’étude technique de sa musique. Mon seul propos, ici, est de reconstituer la vie intellectuelle de Wagner en puisant dans ses écrits, notamment autobiographiques, dans sa correspondance, les mémoires de ses proches ». Pourquoi ne pas s’en être tenue à cette idée première ? Cela nous aurait évité un ouvrage hybride, quelque peu indigeste, qui n’atteint que partiellement ses objectifs.