Alors que l’Opéra-Comique s’apprête dans quelques jours à reprendre Ciboulette, le label Malibran vient opportunément nous rappeler que l’intégrale sortie chez EMI en 1983 n’est pas la seule version existante. Certes, cet enregistrement de studio offrait tout le confort moderne en matière de prise de son, les dialogues et la musique étaient enregistrés dans leur intégralité, mais la distribution pouvait inspirer quelques réserves. La diffusion radiophonique de 1958 que repropose Malibran inclut en revanche une équipe entièrement francophone, peut-être pas exempte de défauts, mais dont les qualités sont exactement proportionnées aux exigences de l’œuvre. Seule étrangeté de cette version : alors que les dialogues parlés sont présents et authentiquement joués – on se croirait souvent dans un de ces films des années 1930 ou 1950, avec leurs savoureux et pittoresques seconds rôles –, l’action est parfois résumée par un récitant au ton beaucoup moins compassé que celui des speakers de la radiodiffusion de l’époque (serait-ce un ajout plus récent ?). Malgré tout, on a bien là affaire à une intégrale, même si certains airs sont réduits à un seul couplet. En 1994, EMI avait republié une sélection d’extraits enregistrés en 1955, avec l’exceptionnelle Madame Pingret de Pauline Carton, mais elle est actuellement indisponible.
Ciboulette dont la photo reproduite au dos du coffret nous rappelle que Reynaldo Hahn en personne la découvrit en 1941 et la choisit pour interpréter Mireille, Géori Boué participa à la création de l’oeuvre à l’Opéra-Comique en 1953 ; son répertoire dépassait de loin celui du music-hall, domaine exclusif d’Andrée Grandjean, héroïne de l’enregistrement de 1955, ou de la coloratures, terrain d’élection de Mady Mesplé, qui tenait le rôle-titre dans l’intégrale de 1983 : elle chantait Marguerite, mais aussi Thaïs, Butterfly ou Tosca. Grâce à ce format vocal, la petite maraîchère acquiert une tout autre personnalité et échappe à cette caricature que devint l’univers de l’opérette au fil du XXe siècle, avant que de grands chefs et metteurs en scène la ressuscitent in extremis. Actrice aux accents vigoureux, Géori Boué arrache aussi l’héroïne à toute nunucherie, ce dont on lui sait infiniment gré. Epoux de Géori Boué à la ville, Roger Bourdin fut avec elle Florestan dans une Véronique de référence, ainsi qu’Athanaël dans une mémorable Thaïs. On l’entend ici en Duparquet dans deux versions différentes, l’enregistrement de 1952 faisant même de lui le narrateur de l’intrigue, aux côtés de son épouse. Là où José Van Dam en 1983 faisait du personnage un père noble, un barbon pontifiant, Bourdin s’inscrit dans la lignée du premier titulaire, Jean Périer, qui avait créé non Golaud ni Arkel mais Pelléas vingt ans auparavant. Après tout, Duparquet n’est ni prince, ni roi, il n’est qu’inspecteur aux Halles, même s’il fut jadis poète et bohème sous le (pré)nom de Rodolphe. Egalement Antonin en 1955, Michel Hamel fut toujours un ténor extrêmement léger, mais aussi un excellent comédien, inoubliable en Madame Poiretapée dans Mesdames de la Halle à l’Opéra-Comique dans les années 1980. Son interprétation du duo de la lettre, supérieurement jouée plutôt que chantée, est un modèle du genre ; Antonin de Mourmelon n’en demande pas davantage. Camille Maurane a encore moins à chanter, mais il met dans son rôle une conviction qui étonne presque de la part de ce Pelléas si fragile. Comédienne de théâtre et de cinéma abonnée aux rôles de concierge, Germaine Michel est ce qui se faisait de mieux après Pauline Carton. Ses partenaires distribués dans les divers petits rôles, même s’ils avaient une carrière plus lyrique – comme Germaine Corney, qui avait été une des chanteuses les plus populaires des années 1930 – savent qu’ils doivent avant tout dire un texte et jouer un personnage, ce dont ils s’acquittent à merveille. Autrement dit, cette version est hautement recommandable, car infiniment plus vivante que l’intégrale de 1983, pétrifiée par le studio. Parmi les extraits qui complètent le deuxième disque, on remarque surtout le magnifique Duparquet de Gabriel Bacquier, dont on connaît par ailleurs la contribution à l’opérette, au début de sa carrière (Ange Pitou dans La Fille de Madame Angot) comme dans ses dernières années.