On attendait depuis longtemps « le » Bartók de chez Fayard. On n’est d’autant plus ravi qu’il nous arrive sous la jolie plume de Claire Delamarche, musicologue également diplômée en langue et civilisations hongroises. Sur la base de la bibliographie et des archives conservées à Budapest (mais aussi à la Bibliothèque Royale de Belgique, grâce à Denijs Dille), elle trace le portrait vivant d’un artiste dont on pénètre l’intimité amoureuse et familiale comme jamais auparavant. Cependant, malgré quelques (passionnantes) pages consacrées aux analys(t)es de cette musique si singulière (en annexe), le commentaire des œuvres laisse un goût d’inachevé.
On ne tiendra pas rigueur à l’auteur du trop petit nombre d’exemples musicaux reproduits ici – on sait l’édition francophone frileuse sur ce point. Malgré quelques passerelles très pertinentes, on lui reprochera en revanche de ne pas assez délaisser la chronologie pour esquisser (aussi !) les contours d’un essai esthétique approfondi – en omettant quelques anecdotes et en structurant, pourquoi pas, le livre en deux parties.
Par ailleurs, si Delamarche insiste bien sur la passion dévorante de Bartók pour la collecte des chants populaires – « le principal aiguillon de son inspiration » (p. 483) – elle ne démontre pas complètement en quoi ce matériau modèle son langage propre (un étude comparative avec les méthodes de Janáček reste d’ailleurs à faire). Elle manque même de mentionner les travaux de John Downey et ceux, plus récents et éclairants, de Jean-François Boukobza sur ce point*. La bibliographie ne peut certes être exhaustive, mais il s’agit là – surtout dans le second cas – de contributions majeures à la connaissance musicographique du sujet.
A moins d’y consacrer un second volume pour aboutir au diptyque « parfait », la musicologue serait désormais bien inspirée de s’atteler à une biographie de Zóltan Kodalý (peut-être chez un éditeur comme Papillon ou Bleu Nuit). Rencontré ici, « l’autre » génie hongrois – avant les deux György, Ligeti et Kurtág – le mérite amplement. A bon entendeur…
* John Downey, La Musique populaire dans l’œuvre de Béla Bartók, Paris centre de documentation universitaire, 1966 ; Jean-François Boukobza, Bartók et le folklore imaginaire, Paris, La Cité de la Musique, 2005