Avant de quitter le label Orfeo pour rejoindre Deutsche Grammophon (voir brève du 17 avril dernier), Piotr Beczala a voulu rendre hommage à Verdi, un compositeur que ses précédents récitals au disque avaient peu abordé. De « L’émir auprès de lui m’appelle », extrait de Jérusalem qui figurait au programme de Salut (Orfeo, 2007), à la version italienne du même air, « La mia Letizia infondere », qui occupe la sixième plage de ce nouvel enregistrement, il y a plus qu’une différence de langue et de tempo. L’écoute comparée aide à mesurer le chemin parcouru par le ténor polonais en quelques années. Faust et des Grieux ont porté leurs fruits : la prononciation du français s’est encore améliorée. L’interprétation de l’air des Vêpres siciliennes, « O jour de peine », et surtout le récitatif fiévreux qui le précède expose, au détail près, une diction affranchie de tout accent. Par la même occasion, Piotr Beczala enjambe la barrière qui sépare le ténor lirico du lirico spinto. Henri donc mais aussi Manrico, Radames, Don Carlo… Même Riccardo d’Un Ballo in Maschera se présente sous un jour héroïque, non plus la légèreté enjouée de la canzone « Di’ tu se fedele », mais désormais les éclats passionnés de l’aria « Ma se m’é forza ».
Sans préjuger de l’effet sur scène où, contrairement au disque, puissance et endurance sont requises, l’évolution apparaît plausible. La ligne se montre suffisamment solide pour supporter les tensions de l’écriture. L’égalité des registres, un des atouts de notre chanteur, demeure. Sans rien perdre de son élan, le chant conserve la spontanéité qui en fait le charme. Ce naturel n’est pas sans influer sur des portraits qui ne s’embarrassent ni de nuances, ni de psychologie. Ici, les raffinements, soulignés par d’autres, ne sont pas de mise, notamment le Si bémol pianissimo morendo de « Celeste Aida ». Le général égyptien est un matamore au torse glabre et huilé, campé sur deux jambes musculeuses, tel un gladiateur. Don Carlo, sans renoncer au style, n’a jamais paru aussi sain de corps et d’esprit et il ne manque à Manrico, pour mettre le feu aux poudres, que de brandir son « Di quella pira », dont on se demande pourquoi il a été rayé du programme. De fait, les rôles purement lyriques, se présentent habillés d’armures plus que de broderies. Le jeune Germont qui lui, a conservé sa cabalette, contre-ut à l’appui, est un bagarreur, Mantoue un prédateur carnassier et on ne donne pas cher de la vie de Macbeth face à ce Macduff, moins atterré qu’animé d’une flamme vengeresse.
La direction de Łukasz Borowicz, à la tête du Polish Symphony Orchestra, ne fait pas davantage de quartiers. La présence de Mariusz Kwiecien et d’Ewa Podleś le premier dans le duo de Don Carlo, la seconde dans celui d’Il Trovatore, transforment l’entreprise en un manifeste polonais. Le baryton n’a pas autant de vigueur que son compatriote. Un contre-ut, aussi facultatif que fracassant, le cloue au sol. Le contralto, en revanche, a de l’énergie à revendre. Plus ogresse que gitane, son Azucena use pour faire plier son partenaire de tous ses registres et d’une voix dont la longueur tient du prodige. En vain, le chant de Piotr Beczala est d’acier mais les amateurs de catch vocal sauront apprécier.