Alors que s’achève la série de représentations du Comte Ory données à Lyon (voir compte rendu), l’INA nous révèle un enregistrement jusqu’ici inédit, écho d’un concert diffusé en 1955 – et donc antérieur à la version de Glyndebourne 1956, jusqu’ici considérée comme la première chronologiquement –, du temps où Rossini n’était guère connu en France qu’à travers ses œuvres bouffes, et en version française. Dans le cas du Comte Ory, il n’était même pas besoin de faire appel à une traduction, puisque le Cygne de Pesaro avait eu la bonne idée de l’écrire directement dans la langue de Molière (enfin, en passant par la case Viaggio a Reims, comme le rappelle la délicieuse speakerine annonçant ce concert). Bien sûr, notre perception du compositeur a complètement changé en un demi-siècle, la Rossini Renaissance est passée par là, et nous disposons à nouveau d’interprètes beaucoup plus adéquats pour interpréter ses partitions. Pourtant, comme on a encore pu le constater avec le Guillaume Tell donné l’été dernier à Pesaro, la prononciation du français est loin d’être toujours idéale chez ces artistes au gosier bien plus habitué au répertoire romantique, et la présente version permettra au moins d’écouter des voix pour qui notre langue était un idiome suprêmement chantable.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Michel Sénéchal n’avait pas le monopole du Comte Ory dans les années 1950. On lui doit certes plusieurs enregistrements de l’œuvre, notamment un de 1959 où l’on retrouve le même chef et certains éléments de la distribution du concert de 1955, mais il est intéressant de constater que le chant français pouvait également afficher à l’époque dans le rôle-titre un autre interprète tout à fait digne d’intérêt. Inutile d’espérer trop de suraigus de la part de Jean Giraudeau, qui les esquisse un peu à la sauvette, quand il ne les escamote pas purement et simplement. Pourtant, de quelles nuances n’est-il pas capable dès qu’il ne s’agit plus de darder des aigus, mais au contraire de s’exprimer dans la douceur ? Le fameux trio du deuxième acte, « D’amour et d’espérance », le trouve au mieux de sa forme, avec un timbre agréable et sans rien des trivialités qui pouvaient entacher certaines de ses incarnations. Face à lui, Odette Turba-Rabier paraîtra forcément bien légère. Cette artiste était avant tout une Philine, une Olympia, et elle réduit la comtesse Adèle à un rossignol gazouillant. Sans aller jusqu’à exiger une Cecilia Bartoli (dont l’interprétation, vue à Zurich et à Vienne, vient de sortir en DVD), on pouvait espérer une voix plus solide, comme celle de Renée Doria, qui l’enregistra en 1962. A leurs côtés, Françoise Ogéas, inoubliable Enfant ravélien dans la version dirigée par Lorin Maazel, est un Isolier là aussi très léger, loin des mezzos auxquels on a pris l’habitude de confier le rôle ; la créatrice, Constance Jawureck, qualifiée de mezzo, chanta quand même le rôle-titre lors de la création bruxelloise de Lucie de Lammermoor. Françoise Ogéas revêtira d’ailleurs les habits de la comtesse Adèle pour le concert de 1959. Heureusement, au babil poids plume de ces dames s’opposent deux interprètes masculins de premier choix : Robert Massard en Raimbaud et surtout l’admirable Jacques Mars, formidable Gouverneur. Les chœurs ne sont pas toujours très nets et la direction d’Inghelbrecht est terriblement sérieuse, mais infiniment plus vive que celle de Vittorio Gui. En tout cas, nous sommes loin de la gaudriole à laquelle succombe désormais trop souvent Le Comte Ory, et cela ne peut que faire du bien.