Etrange œuvre que celle-ci, redécouverte près de quarante ans après la mort de Schubert au moment où Vienne s’avisa que le petit prince du lied avait écrit des oeuvres de grande ampleur. Lazarus n’est toutefois pas un vaste oratorio. C’est bien plutôt une œuvre intime, tissée de nuances et de couleurs, tournant autour de récitatifs accompagnés et d’ariosi – en réalité, un langage mélodique propre à Schubert, sorte de préfiguration de la parole durchkomponiert wagnérienne tant le flux continu de la déclamation est ici de règle. C’est, aussi, une œuvre inachevée et – ironie ! – des trois actes ou tableaux prévus, il manque le troisième, donc rien moins que la résurrection de Lazare. Frustrant.
Autant l’avouer : la version gravée par Wolfgang Sawallisch ne donna pas de cette œuvre un aperçu exaltant, malgré des solistes de premier plan (Donath, Popp). La faute à une lecture cherchant à dramatiser un propos qui, au fond, ne le requiert pas. C’est peut-être cette leçon qu’a retenue Bernius, car chez lui tout est, au contraire, galbe, mélisme et legato – aucune brusquerie, aucune surcharge de couleur, mais un propos qui va, avec un naturel confondant.
Il n’en reste pas moins que l’œuvre – dont Bernius respecte l’inachèvement, ne reprenant pas la fin écrite par Edison Denisov – est à nos oreilles comme une suite d’arias remarquables plus qu’un ensemble organique à la dramaturgie convaincante. L’écoute se focalise non sur la vaste perspective mais sur le détail narratif, la capacité des interprètes à incarner leur personnage. Et c’est dans cette approche du détail et des filigranes que Bernius marque sa différence avec bonheur – les solistes sont excellents, et délicats avec une mention pour Sophie Harmsen.
On les trouvera cependant un peu plus effacés que la distribution réunie par Helmut Rilling chez Hänssler – qui trouve idéalement l’équilibre entre l’ampleur de l’oratorio et la finesse du lied. Bernius nous installe dans un touchant intimisme aux couleurs douces dont on aurait tort de méconnaître le prix.