Bizarrement, il a fallu que douze années s’écoulent pour que cet enregistrement live se transforme en disque commercialisé. Tant mieux pour Pierre Bartholomée, dont l’œuvre pourra ainsi être mieux connue, même si elle n’a pas attendu cette parution pour se diffuser et s’exporter (on annonce une création à Metz en 2017, Nous sommes éternels). Dans l’idéal, peut-être aurait-il fallu pouvoir disposer d’une captation vidéo pour appréhender cette œuvre dans la totalité de ses aspects, mais c’est beaucoup demander, et l’on sait la frilosité du marché en matière de DVD d’opéras contemporains, sauf exceptions comme le Claude de Thierry Escaich récemment paru chez Bel Air Classiques.
Privé de sa composante visuel, ce premier opéra du chef et compositeur belge (né en 1937) n’échappe pas entièrement à une certaine monotonie. Il semble parfois que Pierre Bartholomée se soit donné pour modèle un œuvre dont les qualités dramatiques sont loin d’être évidentes : Saint François d’Assise, auquel on songe à plusieurs reprises, notamment à cause d’une certaine façon de déclamer le français, à cause de sonorités rappelant une modernité déjà entrée dans l’histoire, et sans doute aussi à cause de l’artiste qui interprète le rôle-titre, durablement associé à l’œuvre de Messiaen. On se raconte, on parle ici bien plus qu’on n’agit, mais la partition exige des chanteurs des écarts et une véhémence un peu systématique dans l’intonation, là aussi source d’une relative uniformité.
C’est surtout sensible pour deux des trois rôles principaux. Le ténor français Jean-Francis Monvoisin s’est peu à peu fait une spécialité des rôles les plus lourds, non sans forcer ses moyens, avec des résultats assez déplaisants à entendre, déjà en 2003. Son Clios n’échappe pas à ce constat, et même en dehors des aigus un peu criés, la voix n’a rien de bien agréable. Le problème est un peu identique avec la soprano italienne Valentina Valente, la première chanteuse de la péninsule à interpréter la Lulu d’Alban Berg, et qui participa à la création italienne du Lear de Reimann qu’on verra l’an prochain à l’Opéra de Paris. On le voit, les partitions les plus ardues ne lui faisaient pas peur, mais son Antigone est un peu trop uniformément criarde : ce qui passe dans les premières minutes pour un dramatisme bienvenu tourne vite au glapissement systématique. Pour José Van Dam, alors âgé de 63 ans, les adieux à La Monnaie étaient encore loin (ils ne viendraient qu’en 2010, avec le Don Quichotte de Massenet). Sans avoir conservé toute la souplesse de sa jeunesse, la voix avait alors encore beaucoup de ressources, et cet Œdipe écrit pour lui exploitait parfaitement ses qualités d’interprète.
Dans des rôles nettement plus épisodiques, on distingue Hanna Schaer en Diotime, ou la mezzo britannique Ruby Philogene. Le chœur étant « invisible », selon un procédé qui n’allait pas tarder à devenir un peu trop pratiqué, sa voix est parfois, sinon inaudible, du moins assez étouffée car venant des coulisses. A la tête de l’orchestre symphonique de la Monnaie, Daniele Callegari ne peut faire de miracle et conférer à l’œuvre tout le sel qu’on aurait aimé y trouver.