Né en 1921 dans la charmante ville de Piacenza et décédé au même endroit 68 ans plus tard, Gianni Poggi a fait quelque bruit dans le monde lyrique pour avoir été le partenaire de Maria Callas et Renata Tebaldi dans les années 50. Il avait débuté à Palerme en 1947 dans La Bohème. Il était invité dès l’année suivante à La Scala pour interpréter Riccardo dans Un ballo in maschera. On ne perdait pas de temps à l’époque. Le disque se souvient de quelques-uns de ses faits de gloire (il chantait notamment Enzo dans Gioconda en 1952 aux côtés de Maria Callas) mais son nom a disparu de la plupart des livres de référence. Même le très exhaustif Groves book of opera singers omet de le citer quand son homonyme, Antonio Poggi, ténor lui aussi, né 115 ans plus tôt, a encore droit à une entrée. Il faut dire que ce dernier, élève d’Andrea Nozzari, avait notamment créé le rôle de Carlo VII dans Giovanna d’Arco. La postérité ne saurait l’oublier.
Rien de tel en ce qui concerne Gianni Poggi. Autre temps, autre mœurs. Dans les années 1950, on produisait moins de chefs d’œuvres lyriques mais on enregistrait davantage. Et pour cause ! L’avènement du microsillon stimulait l’industrie du disque. Il fallait (re)constituer des pans entiers de catalogue. En Italie, la variété n’avait pas encore pris le pas sur le grand répertoire. Les chansons napolitaines conservaient entiers leurs quartiers de noblesse. Ernesto de Curtis (1875-1937), était l’arrière-petit-fils de Saverio Mercadante et diplômé du Conservatoire San Pietro a Majella de Naples. Eduardo Di Capua (1865-1917), l’auteur de « O sole mio », avait lui aussi suivi des études classiques avant d’être contraint par son père de parcourir l’Europe. Francesco Paolo Tosti (1846-1916), le plus remarquable d’entre eux, fut le maître de chant de la reine Marguerite de Savoie (l’épouse du roi Umberto I), puis de la famille royale d’Angleterre. Leurs compositions exaltaient cet art de la mélodie, qui au Sud des Alpes, s’épanche naturellement. Pas forcément savantes, mais toujours sincères, généreuses, gorgées de soleil, suaves à l’oreille comme un fruit sucré l’est aux lèvres. Ces années-là, quand on était ténor, on chantait souvent la main sur le cœur et la fleur au fusil, sans souci de nuances, pour le plaisir de faire du gringue aux filles ou de charmer les étoiles, un chant pas forcément raffiné mais prodigue, cordial, candide presque.
C’est ce que nous donne à entendre la réédition en CD d’un récital puisé par Decca dans ses fonds de tiroirs et remastérisé en 96 kHz 24-bit à partir des bandes originales. Gianni Poggi n’avait pas la plus belle voix du monde, ni la plus longue, mais le timbre avait muri en adret. La technique ne s’embarrassait pas d’effets mais veillait à l’égalité des registres et à l’éclat de l’aigu, exhibé avec une fierté toute latine. C’est beaucoup mais ce n’est pas assez. Dirigé par le très oublié Ernesto Nicelli, enregistré en 1953 à l’Accademia di Santa Cecilia de Rome, complété par sept titres qui ne figuraient pas dans l’édition originale, dont un – « Ricuodete’e me » – jamais publié, chanté dans un français impeccable –, cet album, aujourd’hui, parait inévitablement daté. Non que les chansons aient vieilli, non que la manière de les interpréter soit d’un autre temps mais, depuis, d’autres nous ont appris qu’il était possible, avec autant de coeur mais plus de science, de hisser ces partitions au niveau d’airs d’opéra. Carlo Bergonzi, par exemple, en 1972, aux côtés d’Enrico Pessina. Il y a ténor italien et ténor italien.