Rossini, Zedda, Peretyatko : un trinôme dont l’histoire tient du conte de fée. Originaire de Saint-Pétersbourg, la jeune Olga débute à 15 ans dans le chœur d’enfants du Théâtre Mariinsky puis part compléter sa formation à Berlin. En 2006, elle s’aventure à Pesaro où, bien qu’encore étudiante, Alberto Zedda l’engage pour les deux représentations du Viaggio a Reims interprétées chaque année par de jeunes artistes dans le cadre du festival. L’apprentie soprano apparaît si douée qu’on ne sait quel rôle lui confier : Folleville et ses coloratures échevelées ou Corinne dont l’improvisation saurait mettre en valeur la fraîcheur du timbre et la beauté de la ligne ? Elle chanta finalement les deux en alternance, recueillant un tel succès qu’elle fut invitée à revenir l’année suivante pour cette fois un rôle de premier plan – auquel pourtant sa voix légère ne semblait pas la prédisposer : Desdemona dans Otello. Alors que sa carrière internationale prenait son envol avec notamment la signature d’un contrat chez Sony, suivirent à Pesaro, toujours sous la protection amoureuse de Zedda, une pétillante Giulia dans La scala di seta en 2009, une Aldimira impératrice en 2010 dans un Sigismondo transposé par Damiano Michieletto au temps de Louis II de Bavière, Matilde di Shabran en 2012 aux côtés de Juan Diego Florez et divers concerts.
C’est cet évangile que récite partiellement ce nouveau récital discographique. Le Saint-Esprit – Gioachino Rossini –, le père – Alberto Zedda dont la baguette s’épanouit ici comme à chaque fois avec un à propos réjouissant – et les filles : Folleville, Corinne, Matilde auxquelles s’ajoutent Fiorilla d’Il Turco in Italia largement applaudie à Amsterdam en 2012, Aix en 2103 et Munich en 2014 ainsi qu’Amenaide, sa prise de rôle rossinien la plus récente à ce jour (Moscou en septembre 2014). A côté de ces héroïnes déjà éprouvées sur scène ou en concert, se faufilent, plus contestables, Semiramide et Rosine. Tout comme Desdemona, la première fut conçue à l’exacte mesure d’Isabella Colbran, cantatrice à la tessiture ambiguë et au souffle dramatique puissant sans grand rapport avec Olga Peretyatko. Le travestissement de la seconde en soprano relève d’une tradition apocryphe qui tend à transmuer la malicieuse pupille de Bartolo en poupée mécanique.
Simples curiosités ? Oui, il faut bien l’admettre, même si les variations originales proposées dans l’air de Rosine n’ont rien de machinal. En apprenant le chant rossinien auprès d’Alberto Zedda, Olga Peretyatko a été à bonne école. Sa maîtrise technique va de pair avec une connaissance du style. Chaque effet est pensé conformément à l’émotion recherchée en adéquation avec les moyens dont dispose aujourd’hui la soprano russe, peut-être moins audacieuse dans l’aigu qu’elle ne le fut mais toujours douée de l’esprit et du charme nécessaires à la crédibilité des portraits proposés. Qu’il s’agisse des affres ô combien futiles de Folleville, des élans élégiaques de Corinne, des lamentations étirées d’Amenaide avec tout ce que le chant éploré de la fiancée de Tancrède implique de pureté et de tenue, aucune mièvrerie ne vient affadir un propos nous rappelant combien Rossini apparaît féministe comparé à certains de ses successeurs italiens – Bellini, Verdi, Puccini – prompts à dépeindre le beau sexe sous un jour accablé. « Nous les femmes sommes nées pour vaincre et régner » clame Matilde di Shabran dans un feu d’artifice de vocalises lancées ici sans qu’une seule des fusées ne s’égare dans le décor.
La grande scène d’Il turco in Italia résume à elle seule cette image de la femme rossinienne indépendante, intelligente et impertinente qu’Olga Peretyatko aime à interpréter. Répudiée par son mari, Fiorilla cède un instant au découragement avant de montrer quel tempérament l’anime, y compris dans l’adversité. Aux phrases longues, flatteuses pour le timbre et le souffle, succèdent les traits virtuoses, redoutables tant par leur difficulté d’exécution que par la nécessité de les darder à bon escient. Gageure pour beaucoup, partie de plaisirs apparemment pour la soprano, totalement investie dans la composition, qui donne l’impression de jongler avec les notes. Virtuose certes, mais toujours expressive. Tandis que l’ornementation déploie des trésors d’imagination, l’orchestre commente et compatit, non sans espièglerie. C’est ainsi dirigé et chanté que Rossini est grand.
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