Les sommets de la mélodie française avec orchestre constituent-ils un passage obligé pour tout grand artiste de réputation internationale ? Peut-être bien. Régulièrement présente à Paris en récital ou pour des opéras en version de concert, la grande Soile Isokoski n’a jamais négligé notre répertoire national, comme en témoigne sa Marguerite de Faust, qu’elle osa à l’Opéra Bastille en 2001. Sa Rachel, sa Madame Lidoine, elle aura en revanche préféré les réserver à Vienne ou à Munich, et sans doute la prudence lui aura-t-elle toujours dicté de ne pas proposer dans notre pays un programme entièrement composé de pièces françaises. Tout juste en 2010, dans un récital donné à Garnier, glissait-elle quatre mélodies de Chausson, dont les trois qu’on retrouve sur le présent disque. Sauf erreur, c’est seulement la deuxième fois que la soprano finlandaise grave de la musique française en studio, après l’air de Micaëla enregistré en 2008 pour l’album Scene d’amore (un live a préservé le souvenir de sa Marguerite, et La Juive et Dialogues des carmélistes sont disponibles en DVD).
Evidemment, la mélodie a d’autres exigences, et ce n’est pas sur le terrain de l’idiomaticité que Soile Isokoski pourra en remontrer à toutes les autres grandes chanteuses qui ont interprété avant elle Le Poème de l’amour et de la mer. La diction est soignée, il faut s’en réjouir, mais ce que la soprano peut apporter à cette musique, c’est avant tout l’art d’une interprète qui a fait siens quelques-uns des plus beaux personnages du répertoire lyrique. Comment l’une des plus grandes maréchales de son époque, comment une aussi belle interprète des Quatre derniers Lieder pourrait-elle ne pas magnifier la très automnale et crépusculaire musique de Chausson ? Le Poème est comme un grand monologue d’opéra, où une grande voix trouve sans peine à se déployer, et à varier les climats, allant du bien court enthousiasme initial à la nostalgie de la dernière partie, en traversant divers moments de souffrance et l’effroi.
Avec Les Nuits d’été, comme c’est souvent le cas, il faut en passer par une « Villanelle » un peu trop altière, pour mieux retrouver la grande artiste beaucoup plus à son affaire dans les cinq autres plages du recueil, bien plus dramatiques. Dans « Le Spectre de la rose » ou dans « Sur les lagunes », Soile Isokoski multiplie les pianos impalpables et les divines lenteurs, avec cette hauteur de ton qui devient une qualité alors qu’elle était un défaut dans la première pièce.
Duparc lui convient fort bien, peut-être moins l’agitation du « Manoir de Rosemonde » que la douceur de « Chanson triste » , mais son « Invitation au voyage » est admirablement soutenue par l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, auquel le chef John Storgårds communique un frémissement propice à l’atmosphère mystérieuse qui sied au poème de Baudelaire.