Soprano venue des Etats-Unis, Amanda Forsythe se distingue de certaines de ses consœurs par une qualité de timbre qui exclut toute froideur, un chant dénué de cette impassibilité qu’on a pu reprocher à quelques-unes de ses aînées. Ceux qui l’ont vue dans l’Orphée de Gluck n’auront pas oublié son Amour aux yeux qui ribouldinguent, composition totalement maîtrisée. Elle a participé à la résurrection de la Niobe de Steffani, tant à la scène à Londres qu’au disque avec l’équipe de Boston. On a aussi pu l’applaudir en Nannetta de Falstaff à Angers et à Rennes, mais la musique baroque occupe pour le moment une place dominante dans sa carrière, d’où ce premier disque en solo entièrement consacré au caro sassone.
Certains rôles haendéliens s’inscrivent parfaitement dans le répertoire qui peut être le sien sur scène au point où elle en est de sa carrière : il s’agit de « petits » rôles de jeune fille ou de suivante : on pense à Dorinda dans Orlando, avec qui s’ouvre ce récital, à la Dalinda d’Ariodante, ou à Atalanta dans Serse. « Tornami a vagheggiar » est lui aussi destiné à une voix brillante et virtuose, et sur ce plan, l’Armide de Rinaldo rejoint Morgana : magicienne elle aussi, elle doit pouvoir virevolter dans le suraigu. La Cléopâtre de Giulio Cesare est un cas plus ambigu : pour des raisons de vraisemblance dramatique, on a de plus en plus tendance à confier ce personnage à des chanteuses poids-plume qui ont certes la taille mannequin mais pas toujours l’étoffe vocale nécessaire. Voilà l’exemple même d’un rôle dans lequel pourrait exceller une Karina Gauvin, si on acceptait de réviser certaines idées préconçues. La soprano canadienne vient d’ailleurs d’enregistrer une intégrale de Partenope, dont Amanda Forsythe chante ici un air destiné à la reine de Naples. Par ailleurs, impossible de jouer au petit jeu à la mode, de l’hommage à telle ou telle artiste du passé : certes, Dalinda et Morgana furent interprétées en 1735 par la même jeune chanteuse, Cecilia Young, mais tous les autres furent créés par des personnalités bien distinctes, Cuzzoni et Strada del Pò notamment.
Soutenue par l’ensemble Apollo’s Fire que dirige avec élégance Jeannette Sorrell, Amanda Forsythe s’autorise donc des incursions dans des territoires haendéliens qu’elle n’a pas encore abordés. En 2013, lorsqu’elle participa aux représentations d’Almira dans le cadre du festival de musique baroque de Boston, elle ne tenait pas le rôle-titre mais celui d’Edilia ; on se réjouit néanmoins d’entendre un fort bel air tiré de cette relative rareté, le premier opéra composé par un Haendel de 19 ans. En 2014, Amanda Forsythe enregistrait sous la direction de Nicholas McGegan des extraits de Teseo, mais elle y incarnait le héros éponyme, et non de la princesse Agilea, dont elle a retenu ici l’air « Amarti, si, vorrei ». La soprano américaine a de nombreux atouts à faire valoir : la virtuosité, bien sûr (très orné dans sa reprise, « Tornami a vagheggiar » tourne un peu à l’air d’Olympia…), mais aussi le fruité de son timbre et une réelle capacité à faire passer une émotion dans son chant. L’avenir dira si elle est apte à incarner en scène ces héroïnes plus ambitieuses que seul le disque lui a jusqu’ici permis d’aborder.