Le 12 février 1954, le rideau du Palais Garnier se levait sur un spectacle avec lequel Maurice Lehmann comptait à nouveau en mettre plein la vue des Parisiens : après Les Indes galantes, dont la première avait eu lieu en 1952, Obéron de Weber avait tout pour prendre le relai. Hélas, malgré l’adaptation de la partition due une fois encore à Henri Büsser, malgré le faste des décors et costumes de Jean-Denis Malclès, malgré la chorégraphie de Serge Lifar, malgré les parfums de Yuri Gutsatz diffusés dans la salle comme lors du ballet des Fleurs de Rameau, ce nouvel opéra en forme de revue n’eut pas tout à fait le succès escompté. Le public aurait-il été choqué par la relative modernité de la mise en scène ? A la création, Henry-Louis de la Grange s’indignait que l’on demande à Rezia d’exécuter toutes sortes de mouvements pendant « Océan, prodige immense » : qu’il était loin (loin de la France, en tout cas), le temps où l’on demanderait aux artistes de chanter couché par terre, perché sur une balançoire ou en faisant toutes sortes d’acrobaties… Le spectacle fut repris pendant deux saisons, jusqu’en avril 1956, et ne revint plus jamais ensuite. De fait, l’oeuvre reste rarement jouée en France : elle a été donnée à Lyon en 1986, on l’a vue à Toulouse en 2011, mais il reste difficile de convaincre le public des mérites d’Obéron, qui pâtit d’un livret particulièrement indigent.
Dans ces conditions, la version bidouillée par Henri Büsser, qui ajouta surtout plusieurs ballets en orchestrant diverses pièces pour piano de Weber, présente l’immense avantage de se dispenser des dialogues parlés, puisqu’elle récupère les récitatifs écrits dans les années 1880 par Franz Wüllner. L’intrigue n’en devient pas plus profonde pour autant, mais la représentation de l’œuvre cesse d’être problématique pour des chanteurs toujours embarrassés lorsqu’on leur demande de devenir comédiens de théâtre parlé. Et cela paraît un modeste prix à payer si c’est le moyen d’entendre la très belle musique que Weber eut la force de composer peu avant sa mort, survenue deux mois après la première londonienne d’Oberon et six mois avant la création de la révision en allemand.
En février 1954, Nicolaï Gedda avait fait ses débuts à l’Opéra de Paris, dans un rôle héroïque dépassant manifestement ses moyens ; en 1955, Huon fut repris avec toute la vaillance requise par Georges Noré (1910-2001), ténor français aujourd’hui injustement oublié, même si Sir Thomas Beecham le choisit pour le rôle-titre du Faust enregistré en 1947. Alors qu’on voyait en lui le successeur de Thill, il prit en 1960 une retraite un peu prématurée. On aurait aimé trouver la même noblesse d’accents chez l’autre ténor de la distribution, mais Raphaël Romagnoni est un Obéron assez prosaïque : ce n’est pourtant pas si grave, puisque paradoxalement, le rôle-titre n’est pas très présent au total. Découverte complète avec la soprano brésilienne Constantina Araujo : le monde n’eut guère le temps d’apprécier sa très belle voix, puisque cette chanteuse née en 1922 succomba en 1966 à une embolie pulmonaire, non sans avoir eu le temps d’interpréter Aida à la Scala en 1951 (avec Mario Del Monaco), puis à Paris en 1954 entre deux représentations d’Obéron. Seul bémol : cette belle artiste n’avait qu’une maîtrise limitée du français, et son élocution en devient parfois presque risible (on croirait Salvador Dali déclarant son amour du chocolat Lanvin). Dommage que n’ait pas été captée Suzanne Sarroca, qui chanta plusieurs fois Rezia en octobre 1954 ou Régine Crespin, qui reprit le rôle pour la saison 1955-56. Curieuse idée enfin que d’avoir confié Fatime à Denise Duval : on entend que la chanteuse est mal à l’aise dans ce rôle de mezzo où elle est le plus souvent cantonnée dans le bas de sa tessiture. En février 1954, Denise Scharley était Puck, mais Rita Gorr est tout aussi somptueuse dans cet assez petit rôle ; à la première, Chérasmin était Roger Bourdin, auquel succède Pierre Germain, qui semble tout droit sorti d’une opérette marseillaise, tant pour son accent « gascon » que pour sa façon de chanter. Autour d’eux s’affairaient quelques vivants piliers de l’Opéra, d’où l’inclusion de cet enregistrement dans la collection « La troupe de l’Opéra de Paris » : Martha Angelici en Naïade, pour un seul air, la basse Henri Médus en épisodique Calife, le ténor Paul Finel en janissaire, ou un certain Alain Vanzo qui faisait en pirate ses débuts dans la grande boutique.
Bien sûr, les chœurs sont parfois un peu approximatifs et certaines voix y sonnent bien vieillottes, mais heureusement il y a la direction d’André Cluytens, tout grand chef qui allait peu après être invité à Bayreuth et, hélas, devenir moins disponible pour l’Opéra de Paris.
En bonus sur le troisième disque, le premier air de Huon par un magistral Helge Rosvaenge, une exotique prière de Rezia en italien, et les deux versions du grand air « Ocean » : en anglais dans les années 1920 par la wagnérienne australienne Florence Austral, et en allemand par la resplendissante Christel Goltz.