Après Max Reger, Granados. Ne vous demandez plus pourquoi on a, cette année, monté Goyescas un peu partout dans le monde : c’est tout simplement parce que le compositeur catalan est mort en 1916 (il périt en mer, le bateau à bord duquel il revenait de la première de Goyescas à New York ayant été torpillé par un sous-marin allemand). Le label Naxos s’est lancé dans ce qui deviendra peut-être une intégrale de la musique pour orchestre de Granados. Après un premier volume, déjà confié à Pablo González à la tête de l’Orchestre symphonique de Barcelone, le nouveau disque associe à un « tube » comme l’intermezzo de Goyescas plusieurs pages en premier enregistrement mondial : deux danses pour orchestre de 1915 et 1916, et surtout une pièce intitulée La Nit del mort (1897), dix minutes de musique avec ténor et chœur. Le texte en catalan intervient dans le dernier tiers de l’œuvre : le soliste déclare sur un ton détaché « Je suis la mort, ma belle », puis le chœur se déchaîne en un vibrant tourbillon patriotique, où le pays appelle ses enfants à le défendre au champ d’honneur. Jesús Álvarez Carrión n’a donc que trois phrases à chanter, ce dont il s’acquitte correctement, d’une voix assez peu séduisante au demeurant.
Quant à l’œuvre principale (33 minutes de musique pour un disque d’une durée inférieure à une heure), ce n’est pas un inédit, mais quand même une rareté : le poème symphonique Dante (1908), en deux volets (les deux autres prévus ne furent jamais composés), inspiré autant par le texte de La Divine Comédie que par les œuvres préraphaélites de Dante Gabriel Rossetti. Les extraits chantés par la mezzo dans la deuxième partie, « Paolo et Francesca », reprennent quelques vers célèbres, notamment le « Quel giorno più non vi leggemmo avante » par lequel Francesca da Rimini avoue avoir succombé au charme de Paolo, et le « Nessun maggior dolore che ricordarsi del tempo felice nella miseria », devenu chanson du gondolier à l’acte II de l’Otello de Rossini. Gemma Coma-Alabert y déploie un superbe timbre de mezzo pour déclamer le texte du Florentin, conçu par Granados comme une sorte de paisible récitatif, à peine contrarié par une note plus amère ici ou là, le wagnérisme de l’orchestre (l’accord de Tristan passe distinctement dans les dernières mesures) étant alors tempéré pour ne pas exiger de la soliste un étalage de pure force vocale.