D’abord, vos oreilles auront l’impression de passer au travers d’une haie d’épines, mais une fois franchie la barrière de crachouillis indissociable des très vieilles cires, vous oublierez bientôt cette épreuve initiatique pour ne retenir que l’essentiel : la voix. La voix d’un grand ténor français, d’une époque où il en existait beaucoup, et qui chantaient à l’Opéra de Paris.
Ce n’est pas la première fois que le label Malibran rend hommage au Lyonnais Léon Beyle (1871-1922), dont la relativement brève carrière se déroula à rebours des pratiques courantes puisqu’il débute à Garnier en 1897, en Don Ottavio, pour ne plus se produire ensuite que Salle Favart, prenant sa retraite en 1920. A l’instar de ses contemporains, il participe à plusieurs créations d’opéras hélas bien oubliés à présent, comme Aphrodite de Camille Erlanger (1906) ou La Lépreuse de Silvio Lazzari (1912) ; il chante des nouveautés comme Fervaal (1898), Tosca (1903) ou Snégourotchka (1908), et interprète des œuvres anciennes comme les deux Iphigénie de Gluck – Tauride avec Rose Caron en 1900, Aulide avec Lucienne Bréval en 1908 – ou Alceste avec Félia Litvinne en 1904 (le premier disque Malibran incluait même du Rameau).
Comme souvent avec les artistes de cette époque, c’est l’éclectisme du répertoire qui surprend un peu, et plus précisément l’alternance de rôles apparemment très lourds et d’autres, que l’on n’hésiterait pas à confier aujourd’hui à des chanteurs beaucoup plus légers. Malgré une silhouette élancée, Léon Beyle avait de la voix, un chant musclé que, peut-être à tort, on n’associe plus nécessairement à un certain répertoire français. Mylio a-t-il besoin de tant de robustesse ? Peut-être pas, mais il n’est pas mauvais d’arracher Des Grieux et quelques autres à toute mièvrerie, et Beyle sait alléger ici et là quand il le faut. Bien entendu, la diction est impeccable, même si quelques H aspirés intempestifs au milieu d’une syllabe étonnent parfois.
Ce que nous rappelle aussi ce disque, c’est l’importance d’œuvres qui, restées populaires jusqu’aux années 1950, semblent à présent perdues dans les oubliettes. Pourtant, si Hamlet d’Ambroise Thomas connaît depuis dix ans une véritable renaissance, n’est-il pas permis d’espérer la même chose pour ces deux ex-piliers qu’étaient Mireille et Mignon ? La première se relèvera-t-elle un jour des derniers outrages subis à Garnier en 2009 ? La seconde finira-t-elle enfin par intéresser un grand metteur en scène ? Comment deux opéras pleins de grands airs, de « tubes » potentiels, ont-ils pu ainsi disparaître ? Le disque Malibran inclut deux enregistrements des deux airs de Wilhelm Meister, deux versions du grand air de Vincent, et deux duos de Mireille, l’un avec Mary Boyer, l’autre avec une débutante nommée Ninon Vallin. Parmi les partenaires qu’on entend ici, c’est pourtant Marthe Chenal qui impressionne le plus, avec un superbe extrait des Contes d’Hoffmann.