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Edito
10 juillet 2011

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Vus du dehors, les amateurs d’art lyrique forment une tribu aux usages d’un autre temps. Ils étonnent par leur capacité à se claquemurer de longues heures pour écouter de grosses dames brailler des mots inintelligibles ; ils suscitent avec leurs commentaires hermétiques une condescendance parfois agacée ; leur moyenne d’âge élevée atteste que dans quelques années, cette survivance aura disparu, la tribu sera éteinte.

Les ethnologues du lyrique savent, eux, les clivages, les clans, les divergences, les options qui divisent profondément l’univers des lyricomanes. Cette tribu est d’une redoutable diversité. Des rivalités et des haines recuites la travaillent en profondeur. Ne parlez pas de Lully à un wagnérien, il vous rira au nez : quelle inanité que cette musique de cour. Ne parlez pas de Wagner aux lullystes : les brumes germaniques amusent les tenants du grand style français. Bellini atterre les uns, exalte les autres. Puccini fait vomir ou jouir. Rossini excite ou désespère. Mozart sembla un temps faire l’unanimité : les baroqueux se sont chargés de semer la zizanie au gré de modes interprétatives qui ont révulsé les uns, enchanté les autres.

Toutes ces réactions nerveuses, voire épidermiques, font syncrétisme, nourrissent l’intolérance, alimentent des doctrines exclusives. L’éclectisme affiché par certains n’est que de façade. Souvenez-vous des rires amers suscités par le choix de Nicolas Joel d’ouvrir son ère avec Gounod. Gounod ! Berk, crachaient les uns, miam, gloussaient les autres. La presse se fit l’écho du succès remporté par l’introduction du baroque à la Staatsoper de Vienne pour débuter le règne de Dominique Meyer : derrière ces chroniques, ne sous-estimons pas les allergies de braves Viennois maudissant le Français et invoquant les mânes de Lehar et Johann Strauss pour conjurer ce virus.

Les querelles musicologiques ou historiques (dodécaphonistes contre tonaux, baroqueux contre romantiques) ne sont rien au regard des querelles du goût, qui seules valent et qui seules ont fait l’histoire des arts. Mais avec l’opéra cette querelle du goût prend la dimension étrange de disputes rétrospectives : ce n’est pas la nouveauté qui divise, il y en a si peu. C’est le répertoire. Voilà qui est plus fort ! C’est une guerre des conservatismes, une polémique patrimoniale. Si au moins on se battait pour savoir si « Akhmatova » est une grande œuvre ou pas, mais non : tout le monde s’en moque, et l’on sait qu’ « Akhmatova » est promise à l’oubli qui frappe sans grand discernement les œuvres que d’aventureux compositeurs se hasardent à ajouter au répertoire lyrique. Mieux vaut s’invectiver sur la nullité de Cavalli et l’aberration des mises en scène de Bayreuth.

Le chaste fol qui déboule par hasard en plein concile de lyricomanes perd vite sa niaiserie ; il se croyait parmi de dignes serviteurs de l’Art, et se retrouve en pleine scène de ménage entre initiés perclus de certitudes. Il faut voir la tête de l’ignorant qui, demandant à un érudit si c’est un bel opéra que « La Traviata », se voit répondre « : « ça dépend par qui ».

Pense-t-on que l’auteur de ces lignes condamne ce sectarisme de mauvais aloi ? Faut-il se révolter contre ces rivalités villageoises qui corrompent le territoire déjà si limité du lyrique ? Allons ! Que nenni ! Dans un monde qu’aplatit le conformisme, que dévaste la pensée unique, qu’il est bon de se lancer des noms de chanteuses à la figure ! Qu’il est aimable de guerroyer pour une hauteur de diapason ! Comme il est doux de jouer de mauvaise foi et d’ironie au seul énoncé d’un compositeur, d’un orchestre ou d’un festival ! Qui n’a pas goûté ces innocents délices ignore ce qu’est le raffinement et ne mérite que notre souriant dédain.

 

Sylvain Fort

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