Que représente ce rôle de Maometto Secondo [à l’affiche de La Fenice] dans votre parcours de chanteur ?
Beaucoup de choses… C’est une étape importante, à la fois un point de départ et un point d’arrivée, parce que après de nombreux rôles de caractère ou de demi-caractère, c’est mon premier rôle tragique. C’est une référence et une source d’études : du point de vue vocal, il représente une somme du vocabulaire rossinien, avec l’agilité, il canto di forza et il canto declamato portés à leur niveau le plus haut. Aucun autre rôle serio ne condense autant de difficultés ; Assur, par exemple, écrit pour le même chanteur, la basse Galli, offre des plages de détente, alors que pour Maometto, la tension est permanente.
C’est donc un défi pour l’interprète qui doit s’efforcer d’atteindre à un contrôle constant de la technique et à une concentration maximale. Pour une basse chantante comme moi, qui vient de Haendel, de Vivaldi et autres Rossini, c’est un moyen de faire le bilan sur sa vocalité. Plus que dans les autres opéras de Rossini on voit comment ce compositeur dérive du baroque, comment il en est la dernière expression.
Quels rôles aimeriez-vous interpréter ?
Actuellement, je suis recherché comme interprète mozartien et rossinien, outre mes incursions dans le répertoire baroque, particulièrement lorsque je suis réclamé par des chefs comme René Jacobs, Emmanuelle Haïm ou Jean-Christophe Spinozi.
Certaines propositions me sont adressées, relatives au répertoire pré-romantique, donizettien et bellinien. J’y réfléchis. Pour l’heure, je ne prendrai pas en considération les propositions relatives à Verdi. Plus tard, en fonction de l’évolution de ma voix, ce pourrait être différent.
De toute façon, et quelle que soit cette évolution, je crois que je m’intéresserai toujours aux rôles qui ont une substance théâtrale. S’ils conviennent à ma voix, peu importe l’époque, y compris contemporaine. En fait, je ne peux pas dissocier le chant du théâtre.
Comment abordez-vous un nouveau rôle ?
Pour un rôle du répertoire, il est difficile de faire abstraction des grandes interprétations du passé, dont par bonheur nous avons conservé la trace.
Mais je ne suis pas à la recherche de modèles, je m’efforce seulement de trouver la vérité d’un personnage, je veux dire de ne pas ramener le personnage à ma propre personnalité. Je veux qu’à travers la fiction du théâtre et l’artifice du chant le public puisse reconnaître et sentir une réalité – qui n’a rien à voir avec le réalisme -, une réalité humaine qui le concerne.
C’est pour moi un grand défi de donner vie à l’opera seria de Rossini, de parvenir, par le chant et le jeu, à construire un personnage qui ait la complexité de la vie, qui échappe au monolithisme qui caractérise souvent les personnages dans les livrets anciens.
Quels sont vos prochains engagements ?
Beaucoup de Rossini et Mozart. En mars prochain je participe à la première mondiale d’un compositeur espagnol, Carnicer, qui était contemporain de Rossini, un rôle de basse colorature.
Je reprendrai l’Alidoro de Cenerentola au festival Mozart de La Coruna et à La Scala en juin et juillet. En août, je serai à Pesaro pour La Gazzetta. Puis Leporello au Teatro Real de Madrid, et deux nouvelles productions de Mozart, Le Nozze à Bastille et Don Giovanni au Théâtre des Champs Elysées
Avez-vous des projets discographiques ?
Oui, dont certains très importants, en particulier un récital soliste, mais je suis assez superstitieux, aussi je n’en dirai pas plus.
Propos recueillis à Venise le 29 janvier par Maurice Salles