Vous êtes comédien, sociétaire de la Comédie Française depuis 1993, acteur aussi. Avec cette nouvelle production de Rigoletto à Bordeaux, vous devenez metteur en scène d’opéra ; pourquoi ?
C’est une envie très profonde que j’avais depuis un certain temps. J’ai étudié la musique quand j’étais enfant et l’opéra fait partie de mes passions. Par le biais de mes activités théâtrales, j’ai rencontré des chanteurs, des compositeurs… Puis, j’ai participé à des spectacles musicaux en tant que récitant : l’Histoire du soldat, le Martyre de Saint-Sébastien, Pierre et le loup… En 2004, à l’occasion de la création de l’opéra de Philippe Fénelon, Les rois, j’ai fait la connaissance de Thierry Fouquet. Nous avons alors eu une longue discussion sur la musique et je lui ai confié mon désir de mettre en scène une œuvre lyrique. Un an après, contre toute attente, il m’a téléphoné pour me proposer de monter Rigoletto.
Est-ce l’oeuvre que vous auriez retenue si l’on vous avait donné le choix ?
Non, pas forcément. En fait, je ne pensais pas débuter avec un opéra aussi populaire, qui plus est dans une production avec deux distributions. Pour une première fois, je m’attendais à ce que l’on me propose une œuvre aux dimensions plus modestes : La voix humaine ou Le viol de Lucrèce… Si on m’avait donné à choisir, je crois que j’aurais spontanément opté pour un opéra qui me tient plus à cœur, La clémence de Titus par exemple. Je n’aurais peut-être pas eu raison ; je ne suis pas sûr que les œuvres que l’on préfère soient celles que l’on monte le mieux. En revanche, je n’aurais pas accepté la proposition si le livret ne m’avait pas inspiré ou si je n’avais pas aimé la musique.
Pour cette première mise en scène, avez-vous été influencé par le travail de vos prédécesseurs ou au contraire, avez-vous recherché à paraître radicalement différent ?
Ni l’un, ni l’autre. J’ai procédé de la même manière que lorsque j’apprends un nouveau rôle : je lis, j’écoute et surtout, j’oublie tout ce que j’ai vu et entendu auparavant. Je n’ai donc pas cherché à imiter ou à aller volontairement à rebours de ce qui avait été fait. Ma mise en scène n’est ni traditionnelle, ni révolutionnaire. Je n’ai pas masqué la violence et la cruauté de ce qui est écrit ; je n’ai pas voulu pour autant choquer à tout prix. Je suis simplement parti de la partition en utilisant notamment les indications de Victor Hugo pour Le roi s’amuse ; j’ai également travaillé à partir de la correspondance entre Verdi et Piave. J’ai pris aussi en compte la nature des chanteurs car je ne tiens pas à imposer mes idées envers et contre tous ; je les adapte en fonction des interprètes. Le duc de Mantoue de la première distribution, Charles Castronovo, n’a par exemple rien à voir avec celui de la seconde, Dimitri Pittas. Il s’agit de deux chanteurs physiquement et vocalement différents. Je me suis plié à la personnalité de chacun. Ma propre expérience de comédien s’est alors révélée très utile.
En quoi la mise en scène d’un opéra diffère de celle d’une pièce de théâtre ?
Elles ne sont pas si différentes dans l’approche. Les facteurs psychologiques qui représentent des barrières pour l’interprétation sont les mêmes. Il y a juste des paramètres supplémentaires à prendre en compte : le chant, la position par rapport au chef d’orchestre, etc. La particularité réside avant tout dans le rapport avec le temps. A l’opéra, la musique impose le rythme alors qu’au théâtre, on a une liberté totale. Trop presque. Personnellement, je préfère avoir plus de contraintes. Plus le cadre est défini, plus ce qu’on doit interpréter est écrit, plus finalement, on peut creuser à l’intérieur. Une marge de manœuvre réduite évite de s’éparpiller ; on n’a pas le choix ; il faut aller à l’essentiel.
Quels sont vos prochains projets lyriques ?
Au jour d’aujourd’hui, je ne peux pas répondre. Cela va dépendre un peu du succès de Rigoletto. La production sera de toute façon reprise à Monte-Carlo dans deux ans. Bien sûr, j’espère que cette première expérience sera suivie de nombreuses autres. Je le souhaite parce qu’il y des œuvres qui me tiennent à cœur, parce que j’aime l’opéra et les chanteurs et parce que je sais maintenant que j’adore les mettre en scène !
Propos recueillis par Christope Rizoud
© Philippe Granchec