La première question que l’on a envie de vous poser c’est : comment devient-on Sophie Karthäuser ? Comment gère-t-on un début de carrière ?
J’ai commencé mes études à Liège. Je les ai continuées à Londres, à La Guildhall School avec un professeur que je consulte encore beaucoup. Mais je pense que j’ai surtout eu la chance de faire partie de la jeune équipe de la Monnaie de Bruxelles. Ce fut mes débuts à l’opéra, mon lancement grâce à la confiance de Bernard Focroulle. Là, j’ai beaucoup chanté : Mozart, Cavalli mais aussi Ravel. Pour ce qui est de gérer les choses, tout n’a pas forcément été facile, surtout au début puisque je n’avais pas d’agent. Aujourd’hui j’ai « dépassé » ça… L’organisation au moins ! Finalement ce qui reste le plus difficile c’est la gestion de la vie privée. Pour les Noces, par exemple, je reste deux mois sans voir ma maison…
Faire partie d’une équipe amène à se poser la question de la marge de manœuvre que vous avez pour « exister ». Y a-t-il de la place pour le simple plaisir de chanter ?
Jusqu’à maintenant j’ai eu la chance d’avoir des partenaires desquels j’ai beaucoup appris. Ce n’est pas tout mais c’est déjà énorme. Des difficultés de personnes, il y en a, forcément. Mais ce n’est pas propre au chant ! Et c’est positif à partir du moment où ça amène à aussi travailler sur soi. Voilà une chance à saisir. De toute façon j’aime me poser des défis, me dépasser. C’est peut-être ça le plaisir !
En hiérarchisant, aujourd’hui vous avez des projets, des envies, des rêves ?
Etre là, c’est déjà un rêve que je réalise. Au moins personnellement ! Ceci mis à part, j’ai surtout des projets. Thésée, entre autres, au TCE avec Emmanuelle Haïm. Falstaff aussi. C’est une perspective très stimulante. Une manière aussi, peut-être, de casser une image de fille venue du baroque. Une manière d’aller vers un autre répertoire, une autre façon de chanter… que je peux aussi chanter !
Mozart c’est un peu votre « fond de commerce ». Vous avez chanté, déjà, Susanne, Zerline, Pamina et d’autres. Récemment Renée Fleming a confié que Mozart est « le test le plus difficile qui soit (1) […] Si on peut lui survivre, on peut survivre à tout ». Mozart pour vous, c’est aussi un test, une école, une souffrance ?
Sincèrement, j’ai le sentiment que je lui dois beaucoup. Et je continue de le fréquenter souvent ; pas seulement à la scène d’ailleurs ! Après une période de vacances, quand il s’agit de redémarrer je fais des exercices et… je chante du Mozart ! J’ai souvent l’habitude de dire que pour moi, c’est quelque chose de délicieux, comme du miel qui coule dans ma gorge. Je ne pourrais pas tout chanter de Mozart, évidemment, mais pour ce qui est de mon répertoire, vocalement, c’est une évidence. Et puis il a ce génie tellement particulier de mettre en musique des mots, de les faire parler. Pour moi c’est important. Mais la simplicité, l’humilité face à cela, ce n’est pas toujours facile !
Venons-en à Susanne ! Pour vous c’est une prise de rôle. Est-ce qu’il résume tout ce que nous venons de dire ?
Je pense, oui ! Susanne c’est tout ce que j’aime, tout ce que je trouve fascinant dans ce que je fais : jouer ET chanter. Mais c’est aussi un défi, parce que c’est un rôle éprouvant ; très éprouvant. Susanne est presque toujours sur scène et après la générale j’étais vidée physiquement. On se pose des questions dans ce cas, je vous assure ! Mais j’ai compris que j’étais peut-être trop sous pression, trop dans la démonstration. J’ai décidé de laisser vivre Susanne. C’est une belle victoire sur moi ! Oui, elle résume bien ce que nous venons de dire : c’est mon travail donc je veux donner le maximum ; mais il faut aussi veiller, ici comme toujours, à ne pas oublier qu’on chante. C’est une question de balance. C’est délicat mais c’est vraiment amusant !
Propos recueillis par Benoît Berger
(1) Classica, avril 2007, p. 41.