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Macbeth, Verdi pousse au crime ?

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Humeur
16 mars 2009

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Sans préjuger le moins du monde de leur qualité, les représentations de Macbeth ce printemps à Bastille, me sont prétexte à ces quelques réflexions sur le chant verdien et ses avatars. On risque fort en effet de nous resservir en cette occasion l’habituel baratin sur la voix de la Lady verdienne, l’âpreté ou la laideur que le compositeur prétendait lui imprimer et l’effet dramatique qu’il escomptait de ce maquillage vocal. 

 

Eugenia Tadolini récusée par Verdi pour le rôle de Lady Macbeth,
en raison de la trop grande beauté de sa voix.

La Tadolini qui lui avait créé l’infortunée Alzira en 1845 et s’apprêtait à reprendre sa Lady Macbeth de 47, fit dans un premier temps les frais de cette opération (d’enlaidissement) esthétique. Verdi jugeait en 49, encore sous le coup de sa première rencontre avec le réalisme fantastique de Shakespeare, sa voix trop belle, son chant trop parfait. Il appelait de ses voeux un timbre étouffé, sombre, au service d’une déclamation voire d’un quasi parlando, aux antipodes des élégances vocales de ce soprano sfogato hier fêté en Somnambule ou Linda di Chamounix

Ces propos régulièrement et complaisamment rapportés par des générations de contempteurs du beau chant, ont dédouané toutes celles désireuses de faire passer leurs infirmités techniques ou leur inaptitude à la vocalité d’école pour atouts shakespeariens. On pense moins ici aux exotiques Höngen, Mödl, Varnay et Nilsson, artistes par ailleurs considérables, qu’aux Sass, Zampieri ou Guleghina dont l’expressionnisme prétend trouver là une manière de Tables de la Loi. On notera en revanche que nombre de glossateurs de ces mêmes propos finissent par donner en modèle une Callas, une Gencer, une Scotto dont le point commun est précisément de se réclamer de l’école belcantiste. D’un belcantisme certes acclimaté à la parole verdienne, recentré sur le slancio, l’élan passionnel et la force des mots, mais belcantisme néanmoins. A vouloir jeter ce belcanto revisité avec l’eau du bain de la nouvelle donne verdienne , commentateurs et interprètes trahissent donc trop souvent et le chant et Verdi, et souvent même Skakespeare, réduit au happening ou à ce vérisme que le compositeur regardait d’un oeil très critique.

 

Et l’on ne dira rien de ces metteurs en scène qui par ignorance musicale déposent leurs ordures sur les vers d’une tragédie déjà brutalisée par nos hurleuses patentées. Ces derniers travaillent pourtant sur la deuxième mouture de Macbeth, celle largement révisée, créée à Paris en 1865, entre la Forza del Destino et Don Carlos , et bientôt reprise en langue italienne. Or les 18 années séparant ces deux partitions ont été pour Verdi celles d’un approfondissement de son esthétique musicale et vocale dont les conséquences rendent caduques les assertions de 1847-49 (voir notamment notre étude dans le numéro d’ Avant Scène Opéra consacré à Macbeth). Les expédients que constituent en vérité les didascalies de la première version, invitant les interprètes au parlando expressif, à une forme d’assassinat symbolique du chant et à des effets tout extérieurs, n’ont plus de validité en 65.

Verdi hier tétanisé par la composante fantastique et par l’étrangeté psychologique de son sujet n’a plus besoin de ces éléments exogènes pour donner force à son discours. La musique et la musique seule, sans rimel ni postiches, lui permet à présent d’exprimer la noirceur de sa Lady, la veulerie de son époux, l’effroi qui saisit ce dernier devant les apparitions du banquet, la névrose de la tache indélébile. Et c’est le miracle de la Luce Langue. Sans effet extérieur plaqué sur le texte, la simple pulsion psychologique infusée dans les notes et les mots, un chant sur le souffle dans la plus pure tradition du recitar cantando transcendée par un orchestre allusif et prégnant. Harpies vociférantes s’abstenir…

 

Et l’auditeur de se souvenir de ces autres propos verdiens, d’une pertinence imparable ceux-là : « copier le vrai peut être une bonne chose, mais inventer le vrai est mieux, beaucoup mieux « . Ou encore de ceux-ci, relatifs à l’interprétation de la scène du somnambulisme:   « On ne doit faire que très peu de gestes, se limiter à un seul, celui d’effacer le tache de sang ». Et notre Verdi de disqualifier par avance tout histrionisme, vocal ou théâtral, en rappelant qu' »au théâtre on peut pousser un râle mais (qu’) à l’opéra on ne doit pas, pas plus que de tousser dans Traviata « . Evoquant plus spécifiquement la vocalité, le musicien précise maintenent que cette fameuse voix sombre hier mise en exergue ne doit jamais venir du ventre. Avis à celles et ceux qui pensaient devoir la faire sortir des tripes. L »amateur de beau chant peut redresser la tête et rappeler à tous les tenants de la laideur soi-disant théâtrale et moderne, que la partition de 1847 elle-même, se fondait très largement sur les outils expressifs de ce beau chant. En dépit de ses déclarations (comme souvent à prendre avec un certain recul) Verdi exigeait de sa chanteuse qu’elle affronte la terrible cabalette Trionfai ! sicure alfine remplacée par la géniale Luce langue. Comme il la soumettait à la vocalise du Brindisi et au contre-réb pianissimo du somnambulisme. Toutes exigences rhédibitoires pour nos brailleuses actuelles, mais parfaitement compatibles avec les moyens et la technique de chanteuses d’école intelligentes. Comme l’était Barbieri-Nini, créatrice de cette version de 47, formée au chant par…la Pasta, et rossinienne accomplie !    

  

Marianna Barbieri-Nini, créatrice du rôle de Lady Macbeth

La chant verdien ne s’est, de fait, jamais confondu avec le sous-vérisme et l’expressionnisme germanique d’un certain Regietheater auxquels on voudrait aujourd’hui le réduire. Qu’il prolonge le neo-belcantisme donizettien en le chargeant d’influx nouveaux ou qu’il épouse, sur le tard, les formes du drame musical à l’italienne , ce chant exige de ses interprètes une palette de couleurs, une dynamique, une souplesse et par dessus tout une noblesse terrienne qu’aucun amateurisme ne saurait approcher.

 

 

C’est tout cela qu’éveillent en nous les confusions entretenues autour de Macbeth et dont la portée s’étend à l’opéra verdien en général, aujourd’hui si maltraité, à la scène comme au disque.

 

 

Jean Cabourg.

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