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Encyclopédie subjective du ténor: Fritz Wunderlich ou l’absence du soleil

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Nécrologie
23 juin 2009

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Fritz Wunderlich ou l’absence du soleil
Par Nicolas Derny
 
« Si vous avez [le feeling] et que vous pouvez faire la différence entre les différents styles […], vous pouvez aborder tous les genres de musique sans perdre la face. » Ainsi parlait Fritz Wunderlich. Le ténor est effectivement connu pour avoir abordé tous les répertoires, du baroque au contemporain, du bel canto à l’opéra germanique, de l’Orfeo à Oedipus Rex en passant par Giulio Cesare, Wozzeck, Don Giovanni ou La Cenerentola. En tout, une soixantaine de rôles campés à la scène, dont quelques créations, allemandes ou mondiales. Et Wunderlich de ne pas délaisser l’oratorio, le Lied (Schubert et Schumann) ou la musique de Bach. Tout ça en une carrière longue de… 11 ans.
 

Né d’une mère violoniste et d’un père chef de chœur le 26 septembre 1930 à Kusel, dans la Palatinat, Wunderlich est immergé dans la musique dès son plus jeune âge. Le suicide du père, Paul Edmund, obligera Fritz à assurer la subsistance de la famille dès son adolescence, ce qu’il fera en jouant de l’accordéon dans des bals. Entre 1950 et 1955, il étudie le chant à Fribourg-en-Brigsau avec Margarete von Winterfeld tout en suivant les cours de cor de Lothar Leonards, ce qui lui permet de développer le contrôle du souffle extraordinaire qui fera son succès. Les premiers engagements professionnels datent de ces années d’études (l’Oratorio de Noël de Bach à Esslingen en 1952 et divers concerts dans quelques villes de son Palatinat natal). Chantant le rôle de Tamino dans une production « scolaire » de Die Zauberflöte, il est remarqué par  Walter Erich Schäfer qui l’engage à l’Opéra de Stuttgart où il fera sa première apparition dans le rôle de Ulrich Eislinger des Meistersinger de Wagner. La production marque le début de la fulgurante carrière de la nouvelle vedette de la maison. De là, Salzbourg et son Festival où il est invité par Böhm puis Karajan, le Festival d’Aix-en-Provence (1958), Francfort (1958), Munich (1960, où il débute dans le rôle d’Alfredo de La Traviata ), le monde. Il s’impose rapidement comme LE nouvel interprète de Mozart. Il est également régulièrement invité à l’Opéra de Vienne (dès 1962) et dans d’autres maisons prestigieuses. D’autre part, il participe à des productions retransmises par la télévision dont Il barbiere di Siviglia (1959), Eugène Onegin (1962), Il maestro di musica (1963) et Daphne (1964). Il s’apprêtait à faire ses débuts en Don Ottavio sur la scène du Metropolitan avant d’être fauché par la mort dans le chalet d’un ami, à Heidelberg, en 1966.
 

Fritz Wunderlich dans Die Schweigsame Frau de Strauss 

 

Wunderlich ne se contente pas de reprendre les rôles de célèbres opéras mais participe également à quelques créations, mondiales ou allemandes. Ainsi, il apparaît dans Der Revisor (1957) de Werner Egk et Die Velobung in San Dominigo (1963) de Christoph von Ries, dans Oedipus der Tyrann (1959) de Carl Orff ou encore dans la première représentation allemande de l’opéra Osud de Janáček (1959), donné dans la langue de Goethe sur la scène stuttgartoise.
 

La discographie du ténor est richissime de trésors, enregistrés avec les plus grands chefs et chanteurs d’une époque bénie, il est vrai, pour la production discographique. Les documents audiovisuels où il apparaît nous laissent l’image d’un artiste séducteur et charismatique à souhaits. A côté des incontournables rôles profanes, il se fait également porteur du message biblique. Ainsi, il sera un des grands évangélistes de Bach avant la révolution baroqueuse. Il aborde les partitions en se montrant très attentif au texte « Il y a une bonne raison pour laquelle Bach écrivit cette partie pour le ténor : dans la tessiture la plus élevée, les mots sont généralement plus facilement compréhensibles. L’intelligibilité est la chose la plus importante pour l’Evangéliste, lui qui raconte une histoire. Mais il n’est pas qu’un narrateur, il est en même temps partie prenante des événements. »
 

A propos de ses interprétations de Bach, qui ne se bornent pas aux Passions, Dietrich Fischer-Diskau se rappelle : « En 1956, pendant la Semaine Bach à Ansbach, nous nous tenions côtes à côtes pour la première fois, pour chanter deux cantates profanes du Kantor de la Thomaskirche. Après que Werner Egk ait répété le choral introductif de « Auf, schmetternde Töne », Wunderlich se leva pour chanter. Je sursautai quand je l’entendis, tant sa voix avait une douceur pleine de charme combinée avec ce qu’il faut de solidité, ce qui n’avait plus été entendu chez un ténor allemand depuis très, très longtemps. » Fritz et Dietrich se retrouveront notamment en 1964 pour l’enregistrement de Die Zauberflöte sous la baguette de Böhm, incarnant respectivement Tamino et Papageno. Le plateau vocal est inégal mais le tandem est idéal. En matière de musique sacrée, Wunderlich s’attaque également aux oratorios de Haendel, de Haydn et au Requiem de Verdi. 
 

« Je pense que vous naissez ténor lyrique, dramatique ou héroïque. Lorsqu’il devient plus âgé –disons 42 ou 43 ans- le ténor lyrique peut aborder des rôles plus lourds, confie-t-il, mais je pense que nous, les ténors lyriques, nous avons un avantage sur les ténors dramatiques et héroïques, en ce sens que nous pouvons également chanter de l’opéra léger et de l’opérette ». Ce qu’il fera avec bonheur. Mais Wunderlich n’est pas qu’un hédoniste ou une star glamour de l’opéra dont les maisons de disques, EMI qui l’engage en 1958 et Deutsche Grammophon avec qui il signe un contrat d’exclusivité en 1964, publient les enregistrements illustrés de photos un peu kitsch dont les années 60 n’ont pas le monopole. Il est l’exact contraire de la superficialité. Il fuit les cocktails mondains et réunions bourgeoises autant qu’il le peut, tant et si bien qu’au moment du Festival de Salzbourg, il préfère loger dans une ferme, au plus proche de la nature, source de son art. Il parvient également à préserver sa vie privée et les deux enfants né de l’union avec Eva Jungnitsch, harpiste rencontrée pendant les répétitions d’Antigone de Carl Orff en 1956.
 

Fritz Wunderlich dans différents lieder, accompagné d’Hubert Giesen

 

Wunderlich reconnut n’avoir sérieusement abordé le Lied que très tard dans son parcours (1963), non pas par manque d’affinité avec ce répertoire, bien au contraire, mais parce qu’il était convaincu –à juste titre- que le pré-requis sine qua non pour aborder ces pièces est d’avoir le contrôle total de sa voix. Hubert Giesen, son accompagnateur, rapporte une anecdote montrant à quel point le chanteur prend la chose au sérieux. L’épisode se déroule au cours d’une répétition des Dichterliebe de Schumann :

« Après que nous soyons arrivés à la fin de la première page, je m’arrêtai de jouer. Il me regarda et me demanda :
Qu’en penses-tu ?
Tu veux que je sois honnête ?
Tu dois être honnête, dit-il, c’est pour ça que je suis là

Bon… je pense que c’est mauvais
Tu vois ! c’est exactement ce que Je pense. »

Wunderlich me regarda comme si je lui avais adressé une salve de compliments. Nous continuâmes à répéter pendant quelques heures. A la fin, nous avions travaillé quatre mesures dans lesquelles son articulation, intonation et legato étaient enfin telles que je voulais les entendre »
 

Car Wunderlich considère Giesen comme un « professeur » en la matière et non comme un simple accompagnateur. Il utilise l’expérience de son aîné de 30 ans pour s’enrichir un peu plus encore. Chaque détail, chaque mot, chaque respiration est pensée pour arriver au résultat idéal, là où d’autres, tout aussi talentueux mais beaucoup moins intelligents se reposent uniquement sur leur timbre séducteur. Son travail sur le verbe nous laisse quelques trop rares récitals de Lieder à la valeur inestimable (Schubert et Schumann surtout).
 

Wunderlich allie talent et travail, spontanéité et perfectionnisme, élégance et simplicité pour devenir un chanteur adulé par ses contemporains. Et les stars se muent toujours en légendes lorsque la faucheuse les attrape en plein vol. Mais ce n’est ni au volant de sa Porsche ni au cours d’un accident de chasse, une de ses activités favorites, qu’il décède. Lorsque la nouvelle tombe, les rumeurs sur sa mort vont bon train. A Vienne, on raconte qu’il se serait tiré une balle dans le tête au cours d’une partie de roulette russe. En réalité, il trébuche le tête la première dans un escalier, probablement à cause d’un lacet mal noué, et sombre dans un coma dont il ne sortira jamais. Pour le coup, c’est sans grande élégance que le Destin arrache au monde lyrique une de ses plus géniales coqueluches. Il laisse en suspend un enregistrement de Die Schöpfung avec Janowitz, Ludwig, Fischer-Dieskau et Berry, dirigés par Karajan, qui le remplacera par Werner Krenn. La dream team pour une version que personne n’a encore dépassé à 440 Hz…
 

L’évolution amorcée par sa voix aurait pu lui permettre de devenir un Heldentenor capable d’aborder d’exigeants rôles wagnériens de la manière la plus rayonnante qui soit. Peut-être aurait-il aussi pu devenir un des plus grands chanteurs de Lieder de l’histoire du disque, lui qui possédait une intelligence hors norme en la matière. Fauché au même âge que Mozart, qu’il considérait comme un des trois plus grands  compositeurs (avec Bach et Schubert) et dont il donnait des interprétations solaires, Wunderlich laisse un souvenir émerveillé, tant à ses collègues qu’au public, qui reconnaît encore en lui un des plus grands ténors de son siècle, capable d’aborder tous les genres, tous les répertoires.
 

Fritz Wunderlich en Comte Almaviva… en allemand

 

Il est pourtant décrié par certains de nos critiques contemporains, déçu que l’homme ne se serve que trop du sex-appeal de sa voix. Il faut se souvenir que les témoignages qu’il nous laisse datent d’une époque où la scène lyrique n’appartient pas encore aux psychanalystes et que les mises en scènes demeurent assez littérales. Dans ce contexte, Wunderlich ne joue pas au psychologue et chante à la mode d’une époque révolue et pourtant bénie, le vivier vocal des années 1950-1960. Son goût –et son talent- pour la musique légère, certes souvent superficielle et ne présentant pas l’intérêt d’un Ring ou des opéras post-romantiques les plus opaques, paraissent également suspects. Il faut se souvenir que quelques années auparavant, les violonistes virtuoses ne se plongeaient pas dans les grandes sonates du répertoire mais composaient leurs récitals de petites pièces de genre superficielles et d’arrangements virtuoses sans intérêt musical. Ils n’en restent pas moins des génies à la personnalité hors norme. Il faut parfois faire passer son sens critique du niveau musical au niveau historique et se répéter « autres temps, autres mœurs »…
 

En allemand, « Wunderlich » ne signifie pas miraculeux (wunderbar), mais « bizarre, étrange ». Dans le même ordre d’idée, le mot renvoie à l’idée de singularité. C’est la définition que nous retiendrons et attribuerons à son talent, à son art. Unique.
 

Nicolas Derny
 
Discographie sélective:
 
Ci-dessous, un bouquet d’enregistrements « officiels » de Wunderlich dont quelques productions d’opéras, œuvres sacrées ou récitals de Lieder. Deutsche Grammophon a publié quelques compilations qui, malgré de nombreux doublons, rendent un hommage représentatif à l’art du ténor. Notons qu’il existe de nombreux « introuvables » publiés par d’obscurs labels sous diverses formes (microsillons, cassettes, Cds) reprenant des enregistrements « live » ou autres retransmissions radios. On peut ainsi trouver 7 Zauberflöte ou 6 Entführung aus dem Serail différents… Nous ne reprenons ci-dessous que les disques disponibles dans les bacs.  
 

-J.S. Bach : Passion selon Saint-Jean BWV 245 : F. Wunderlich (évangéliste), D. Fischer-Dieskau (Jesus), K. C. Kohn (Pilate, Pierre, basse), E. Grümmer, C. Ludwig, J. Traxel, L. Otto, H. Schäfertöns, Chor der Sankt-Hedwigs-Kathedrale Berlin, Berliner Symphoniker, K. Forster (direction) [EMI 423 425]
 

-L. van Beethoven, Missa Solemnis. (+ Mozart, Messe du couronnement). Janowitz, C. Ludwig, F. Wunderlich, W. Berry, Berliner Philharmoniker, H. von Karajan (direction) [DG 453 0 62]
 

-J. Haydn : Die Schöpfung. F. Wunderlich (Uriel, n° 1, 2, 12, 13, 19, 24, 34), W. Krenn (Uriel n° 9, 11, 18, 23, 27, 29, 33), G. Janowitz (Eva), D. Fischer-Dieskau (Adam), W. Berry (Raphael), C. Ludwig , Singverein der Gesellschaft der Musikfreunde Wien, Berliner Philharmoniker, H. von Karajan [DG 449 761-2 Originals]
 

– G. Mahler : Das Lied von der Erde. F. Wunderlich, C. Ludwig, Philharmonia Orchestra, O. Klemperer (direction) [EMI 5 66944 2]
 

– W.A.Mozart : Die Entführung aus dem Serail. F. Wunderlich (Belmonte), E. Köth (Konztanze), L. Schädle (Blonde), F. Lenz (Pedrillo), K. Böhme (Osmin), R. Boysen (Bassa Selim), Chœur du Bayerischen Staatsoper, Bayerisches Staatsorchester, E. Jochum (direction) [DG 445 684-2]
 

– W.A.Mozart : Don giovanni. F. Wunderlich (Don Ottavio), E. Wächter (Don Giovanni), L. Price (Donna Anna), W. Kreppel (Le Commendeur), H. Güden (Donna Elvira), W. Berry (Leporello), R. Panerai (Masetto), G. Sciutti (Zerlina), Chœur et Orchestre du Wiener Staatsoper, H. von Karajan (direction) [Gala GL100.608]
 

-W.A. Mozart : Die Zauberflöte. F. Wunderlich (Tamino), F. Crass (Sarastro), R. Peters (LA Reine de la Nuit), E. Lear (Pamina), D. Fischer-Dieskau (Papageno), L ? Otto (Papagena), Friederich Lenz (Monostatos), H. Hotter (L’officiant), H. Hilten, M. Vantin, M. Röhrl (les trois prêtres), H. Hillebrecht (première dame), C. Ahlin (deuxième dame), S. Wagner (troisième dame), R. Schwaiger, A. Fahberg, R. Kostia (les trois garçons)RIAS-Kammerchor, Berliner Philarmoniker, K. Böhm [DG 449 749-2]
 

-R. Schumann : Dichterliebe op.48 (+Lieder de Beethoven et Schubert). F. Wunderlich, H. Giesen (piano) [DG 449 747-2 Originals]
 

-R. Strauss : Daphne op.82. F. Wunderlich (Leukippos), J. King (Apollo), H. Güden (Daphne), V. Little (Gaea), E. Mechera (Mägde), P. Schöffler (Peneios), Chœur de la Wiener Staatsoper, Wiener Symphoniker, K. Böhm (direction) [DG 423 579-2]
 

-R. Wagner : Der fliegende Holländer. F. Wunderlich (Le Timonier), D. Fischer-Dieskau (Le Hollandais), G. Frick (Daland), M. Schech (Senta), R. Schock (Erik), S. Wagner (Mary), Staatskapelle Berlin, F. Konwitschny [Berlin Classics BC 2097-2]
 

-F. Wunderlich, Sacred arias (Bach, Haendel, Haydn, Vivaldi). Orchestres et chefs divers. [DG 480 0064]

-F. Wunderlich, Zum 25. Todestag. 5 CD (CD 1-2 : Opera arias ; CD 3-4 Lieder, CD 5 Chansons populaires) [DG 435 145-2]

-F. Wunderlich Life and Legend.  DVD [DG NTSC 073 4202]

-The Art of Fritz Wunderlich. 7 CD. Bach, Mozart, Opera arias, arien und Duette, Lieder [DG 477 5305]

Commentaires des lecteurs

J’ai eu l’occasion de visiter la belle ville de Kusel et me rendre à la maison natale de Wunderlich. Une plaque est posée sur la façade avec la date de naissance et je n’ai pas eu la possibilité d’y rentrer. Cette demeure doit être un petit musée. C’est bien de consacrer ces lignes aux grands interprètes lyriques, car ils sont très souvent vite oubliés, tout comme son ami Hermann PREY, avec lequel il a chanté le Barbier et certainement d’autres opéras. Bonne continuation. Toujours attentif à vos articles. Merci Je dois encore conserver quelques photos de cette maison à Kusel. Il faudrait que je recherche.
Richard

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