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Sir Charles Mackerras (1925-2010) : merci, Maestro

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Nécrologie
28 juillet 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Emporté par un cancer qui le rongeait depuis plusieurs années déjà, Sir Charles Mackerras nous a quittés le 14 juillet dernier à l’âge de 85 ans. Etonnant destin que celui de ce musicien émérite, considéré dans son pays d’adoption – l’Angleterre – comme un des plus grands chefs d’orchestre tchèques, australien d’origine américaine qui débarqua en Grande Bretagne et qui, fortuitement ou presque, se retrouva à Prague en 1947 aux côtés du grand Vaclav Talich. Il est donc des hasards heureux pour les mélomanes.

 

Les éléments majeurs de sa biographie

 

Sir Alan Charles Mackerras est né de parents australiens aux Etats-Unis le 17novembre 1925 dans une petite localité de l’Etat de New-York, Schenectady. Il n’a que deux ans lorsque sa famille retourne en Australie. Coïncidence ? Cette famille a déjà marqué l’histoire de la musique australienne. Sir Charles compte en effet parmi ses aïeux un certain Isaac Nathan, compositeur et musicologue anglais qui collabora notamment avec Byron mais qui, confronté à de grandes difficultés matérielles, s’exila en Australie, où il composa le premier opéra local, Don Juan d’Autriche. Etablissant une école nationale vivace et originale, Nathan est aujourd’hui considéré comme le Père de la musique australienne. Ainsi c’est génétiquement que le jeune Charles prend des cours de piano au début des années 1930, instrument qu’il délaisse pour le hautbois avant de s’intéresser à la direction d’orchestre après son engagement, en tant qu’hautboïste, à l’Orchestre Symphonique de Sydney.

 

 

En 1946, il s’installe en Angleterre, et passe de l’interprétation à la direction. Il obtient alors une bourse du British Council pour aller étudier à Prague auprès de Vaclav Talích (1883-1961), chef spécialiste de Dvorak et de Suk, également ami et interprète privilégié de Martinu. Une formation qui le marque durablement et une rencontre qui a un impact décisif sur son futur parcours professionnel. Il l’évoque dans une de ses dernières interviews, accordées en tchèque : « Pendant les leçons privées que Talich m’a données, j’ai appris beaucoup de choses. Ma vie a pris une nouvelle tournure à partir du moment où j’ai vu comment il dirigeait l’opéra Katia Kabanova ».

 

Durant ce séjour, il découvre la musique de Janacek donc, se familiarisant avec ce compositeur, alors tenu pour une simple célébrité locale. Mieux, il pressent, avant tout le monde, l’ampleur de son œuvre lyrique : « Lorsque je suis venu pour la première fois à Prague, j’ai été littéralement ébloui par la grandeur de la musique de Janacek. Elle était tellement fascinante et tellement différente de ce que j’avais connu auparavant, que j’en suis tombé immédiatement amoureux ». De retour en Grande Bretagne, il s’ingénie à jouer cette musique et à la faire goûter à ses compatriotes. Ainsi débute une carrière de plus d’un demi-siècle de direction d’orchestre, placée sous le signe de Janacek.

 

 

Il s’installe alors à Londres, où il dirige au Sadler’s Wells Theatre de 1948 à 1953, initiant le public londonien aux œuvres tchèques  : Kata Kabanova, Jenufa, L’Affaire Makropoulos. Puis il est nommé chef permanent du BBC Concert Orchestra, de1954 à 1956. Il est engagé au English Opera Group de 1955 à 1960. C’est alors qu’il participe à la création de Ruth de Lennox Berkeley, et de Noye’s Fludde (Le déluge) de Benjamin Britten. Il dirige la première en Grande-Bretagne des Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, à Aldenburgh en 1958, et fait ses débuts au Royal Opera House de Londres en 1964.

On le voit à partir de ce moment dans la plupart des opéras du monde, plus particulièrement en Allemagne entre 1961 et 1970. Il est successivement chef invité permanent de l’opéra d’État de Berlin (19611963), de Hambourg (19651970) puis de l’Orchestre Symphonique de la BBC (1977-1979). Entretemps il fait ses débuts au Met en 1972, puis un an après, en 1973, à l’Opéra de Paris.

 

Dans les années 1960, Charles Mackerras entame avec les orchestres tchèques une collaboration qui dure jusqu’à la fin de sa vie. Pendant près d’un demi-siècle, il dirige en tant que chef d’orchestre invité, la Philharmonie tchèque. Prague – ville dans laquelle il avait d’ailleurs fait connaissance de sa future épouse et fidèle compagne, Judy – lui a décerné pour ses mérites plusieurs prix et distinctions. Il a ainsi été nommé citoyen d’honneur de la capitale tchèque. Depuis la mort de Rafael Kubelik, en 1996, certains le considéraient paradoxalement comme le dernier chef « authentiquement » tchèque !

 

En 1965, à la tête de la troupe du Sadler’s Wells, il révéle au public parisien du Théâtre des Nations, l’Affaire Makropoulos trois ans avant que Charles Bruck en donne une version de concert avec la grande Elisabeth Söderström prélude à une représentation opératique à Marseille en octobre 1968 toujours avec la soprano suédoise. C’est encore Charles Mackerras qui assure la première parisienne de Jenufa en 1980 alors que cet opéra n’avait été joué en France qu’à trois reprises auparavant, à Strasbourg en 1962, à Rouen dix ans plus tard et à Lyon en 1974.

 

De 1982 à 1985, il revient en Australie pour prendre la direction de l’Orchestre Symphonique de Sydney. Déjà en septembre 1973, c’est lui qui avait dirigé Birgit Nilsson dans Wagner pour le concert d’inauguration du nouvel opéra, en présence d’Elisabeth II (voir un extrait vidéo de ce concert). 

 

De 1986 à 1989, il est principal chef invité du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, et, entre 1987 et 1992, directeur musical du Wels National Opera (Opéra national gallois) de Cardiff. Il devient ensuite directeur musical de l’Orchestre de St Luke, à New-York (1994-2001) avant de prendre en 2003, la direction du Philharmonia Orchestra de Londres.

 

En 2007, c’est l’Orchestra of the Age of Enlightenment – qu’il dirige régulièrement depuis une dizaine d’années – qui le nomme chef émérite et en 2008, il est élu président d’honneur de l’Edimburgh International Festival Society. Seul Yehudi Menhuin avait été gratifié de ce titre avant lui. Mackerras y avait, c’est vrai, débuté en 1952 !

 

Les 25 et 29 juillet 2010, il devait diriger deux concerts aux Proms. Parmi ses projets figuraient aussi Cosi fan Tutte à Glyndebourne, Idomeneo à Edimbourg, Don Pasquale et Hänsel und Gretel à Covent Garden. Hélas, le destin en a décidé autrement.

 

Rappelons enfin qu’il a successivement été décoré Commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique (CBE – 1974), Chevalier (Knight Bachelor en 1979), Compagnon de l’Ordre d’Australie (en 1997), qu’il a reçu la Médaille du Centenaire en 2001, et qu’il a été Membre de l’Ordre des compagnons d’honneur (en 2003).

 

 

Les disques

 

Sir Charles Mackerras est l’auteur d’une vaste constellation d’enregistrements qui continuent de briller avec une égale magnitude dans le ciel des mélomanes.

 

Pour n’avoir jamais signé de contrat d’exclusivité avec aucun label, sa discographie est pléthorique : les opéras de Janacek chez Decca et Supraphon, les oratorios de Haendel chez Deutsche Grammophon, les symphonies de Mozart et de Brahms chez Telarc, mais aussi chez EMI, Philips, Hyperion, Chandos, Sony, Signum, qui tous détiennent de précieuses bandes où Sir Charles fait preuve à chaque fois d’un remarquable instinct de philologue.

 

Mention spéciale cependant à Supraphon où, à partir de 1978, il enregistre la majorité de ses albums de musique tchèque. Les deux derniers en date : Juliette de Martinu avec une rayonnante Magdalena Kozena dans le rôle titre et les Poèmes symphoniques de Dvorak. On regrettera juste qu’il n’ait jamais gravé Les Excursions de Monsieur Broucek, chef-d’œuvre absolu de Janacek.

 

A signaler aussi ses enregistrements chez Decca qui contribuèrent à populariser la musique de Janacek, plus particulièrement les gravures d’opéra qu’il réalisa avec Elisabeth Söderström dans les rôles de Jenufa, Katia et Emilia Marty.

 

En France, sa version discographique de Jenufa , trois ans après le ratage à l’Opéra de Paris en 1980 dans lequel le chef n’avait pas de responsabilité, parvint à point nommé pour rétablir auprès du grand public la valeur intrinsèque de l’œuvre.

 

Il ne faudrait pas croire cependant que ses enregistrements se limitent aux seuls compositeurs tchèques, bien au contraire. Aux côtés de Verdi, Wagner, Haendel, Purcell, Gluck, Brahms, Gounod, Bizet, Massenet, Mahler, Elgar, R. Strauss, Berlioz ou Schubert, figurent même les opéras comiques de Gilbert et Sullivan.

 

Le chef d’orchestre

 

Sir Charles Mackerras n’était pas forcément « facile » avec ses musiciens et ses chanteurs. Cependant, il regrettait souvent ses emportements. Loin des chefs olympiens et autres sorciers de la baguette déconnectés de la réalité au nom de leur art, Mackerras, qui vivait uniquement pour et par la musique, gardait les pieds sur terre. Il était fréquent de le voir discuter avec les musiciens durant les pauses et les entractes.

 

Bien avant l’heure, il avait su rendre ses couleurs historiques à Mozart, qu’il affectionnait particulièrement. Il n’a jamais pourtant cédé aux extrémismes du mouvement baroque, privilégiant toujours la générosité du chant et la plénitude des nuances.

Mais son intuition majeure tient à un terme qui fera florès : l’authenticité. Car Mackerras s’intéresse très tôt à la restitution historique des œuvres anciennes. Il s’efforce aussi bien de réhabiliter les instruments anciens, que de remettre au goût du jour certaines licences oubliées.

En 1959, le petit label anglais Pye lui avait proposé d’enregistrer les Musique pour les feux d’artifice royaux de Haendel : Sir Mackerras opta pour un orchestre à vent, formation inédite, bien que respectueuse des intentions du compositeur. Réalisé dans des conditions tout à fait rocambolesques («  nous devions faire cela au milieu de la nuit, afin que nos vingt-six hautbois puisse jouer ensemble ») cet enregistrement s’est imposé comme un manifeste en faveur d’une interprétation renouvelée. Dans la même optique d’authenticité, Sir Charles publie des éditions remarquées des opéras de Mozart. Conscient que la partition n’était aux yeux des interprètes du XVIIIe siècle qu’un simple support, il n’hésite pas à adjoindre appogiatures et ornementations.

 

Sa maîtrise de la langue tchèque, ses compétences musicales, sa volonté de mieux appréhender la musique de Janacek l’amenèrent à se pencher sur les manuscrits des ouvrages du compositeur. Seul et plus tard avec John Tyrrell et avec d’autres musicologues tchèques, il corrigea un certain nombre de partitions s’efforçant de retrouver l’originalité de la musique de Janacek.

 

A l’orée de ce 3e millénaire, Mackerras résumait ainsi l’acquis de toute une vie : « Je crois qu’il est essentiel d’éditer aussi explicitement que possible les parties orchestrales, afin que les musiciens puissent les jouer sans beaucoup répéter (…) Dès lors que les parties sont clairement marquées, nous sommes capables de les jouer en nous focalisant sur l’interprétation plutôt que sur la technique  ». Merci, Maestro.

 

Christian Viguié

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