(à partir de propos recueillis le 19 février 2014)
En 2001, la carrière d’Andrew Schroeder connaît une baisse de régime. Il faut dire que depuis son Sullivan awards en 1991, le baryton américain a enchainé les prises de rôle à une rapidité qui laisse pantois. Aussitôt appris, aussitôt interprétés, aussitôt abandonnés, Guglielmo (Cosi fan Tutte) et Marcello (La Bohème) exceptés. Anglais, italiens, français, russes, allemands ; baroques, classiques, romantiques, contemporains : autant de langages, autant de styles, autant d’expériences qui – on le comprend a posteriori – préparent une rencontre décisive. En 2001 donc, à New York, Leon Botstein propose à Andrew Schroeder de chanter Mordred dans le seul et trop rarement représenté opéra d’Ernest Chausson, Le roi Arthus. Le destin s’en mêle. Le titulaire pressenti pour le rôle-titre déclare forfait et c’est au baryton qu’échoit finalement la couronne. La critique s’enthousiasme. « Mr Botstein et son orchestre font sonner la partition de manière somptueuse, majestueuse, éclatante dans les moments de fanfare, et souvent puissante. […] Mais la prestation vraiment exceptionnelle, on la doit à Andrew Schroeder. Solide et assuré, il a su exprimer toute la force du personnage en même temps que sa résignation et sa mélancolie. En entendant sa voix, on avait l’impression, de plus en plus nette vers la fin, de voir brandir la brillante épée Escalibor en un long geste d’adieu », écrit le New York Times. Deux ans après à Bruxelles, lors de la célébration du centenaire de l’œuvre dans la ville même où elle fut créée, Andrew Schroeder doit rappeler cette prise d’armes pour que l’on accepte de lui confier Arthus au lieu de Merlin. Un enregistrement suit sous le label Telarc avec de nouveau Leon Botstein à la direction d’orchestre.
Depuis Eugène Onéguine qui vit ses débuts en France en 1993, rarement pareille occasion avait été offerte à notre insatiable baryton de chanter une partition traversée d’émotions contrastées, interpréter un personnage non contraint, comme trop souvent dans sa catégorie, de jouer les pères nobles ou les méchants. Tel est, de son propre aveu, la difficulté d’un rôle qui s’adapte idéalement à sa voix, moins wagnérien qu’il en a l’air, français même dans sa conduite mélodique, nuancé et d’un ambitus idéal. La prononciation n’est pas davantage un problème pour celui qui a su mettre à profit ses études, ses voyages et ses amitiés pour perfectionner sa maîtrise de notre langue.
Adolescent, Andrew Schroeder avait découvert avec West Side Story, la magie du spectacle et se rêvait Tony. Hésitant entre le chant et la percussion, il avait choisi la première discipline afin de pouvoir évoluer devant et non derrière l’orchestre. Avec Arthus, il peut satisfaire pleinement son goût pour le théâtre. Voilà un caractère complexe, un homme transi de doutes, aux travers desquels le public retrouve des situations qu’il a pu connaître. Le danger, pour l’interprète, est de savoir garder une juste distance, ne pas se laisser submerger par les sentiments qu’il doit exprimer, rester jusqu’au bout comédien.
Dix ans déjà ont passé depuis l’enregistrement de l’opéra de Chausson. Dix années qui ont vu se succéder d’autres rôles, d’autres rois, d’autres dieux. Se profilaient Jupiter (Platée à Strasbourg en juin) et Agamemnon (Iphigénie en Aulide à Stuttgart en juillet). La défection de Franck Ferrari, souffrant, conduit aujourd’hui Andrew Schroeder à brandir de nouveau Escalibor. Le destin, tel le facteur, sonne toujours deux fois.