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5 questions à Oswald Sallaberger

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5 questions
2 octobre 2007

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Diriger Verdi après Wagner (Tristan en 2004, Le Vaisseau fantôme en janvier dernier), n’est-ce pas un jeu d’enfant ?

Non, pas du tout. C’est un défi différent, même si j’avoue chercher dans Rigoletto comme dans Wagner un côté Gesamtkunstwerk(*). Je prête une grande attention à l’équilibre du texte, à l’histoire, à la musique, au chant, à la gestion du tempo, aux nuances, au rubato, aux silences, aux enchaînements… Tout cela passe par les artistes, les musiciens, les chanteurs, la mise en scène. Et Il faut que l’ensemble fasse vrai avec au final, un feu d’artifice d’émotions pures : allégresse, drame, tragédie, grand tableau, solitude, amour et mort. Alors, non ce n’est pas un jeu d’enfant…
Le travail sur le style, sur le bon goût, est également capital. Verdi s’avère en ce sens – mais d’une manière différente – aussi exigeant que Mozart. De toute façon, je prends l’entière responsabilité de mes choix, du moment qu’ils sont compatibles avec la scène et l’orchestre.

Quelle place occupe Rigoletto parmi les opéras de Verdi ?

A mon avis, Rigoletto se trouve parmi les très grands opéras de Verdi. Pourquoi ? Parce qu’il y a à la fois des thèmes universels (les chœurs ou l’air « La donna è mobile ») et un déroulement dramatique, une composition d’enchaînements de très haute qualité, le tout sans jamais un seul moment d’ennui.
On sait que Verdi a composé son œuvre en deux étapes : la création des airs, dans le désordre par rapport à l’action, et ensuite la composition des enchaînements, dans l’ordre imposé par le livret. Ces « collages », problématiques par exemple dans La forza del destino, sont très réussis dans Rigoletto. Le compositeur vise aussi à plus d’unité. Il veut modifier le vieux système récit/air de l’opéra italien du début du 19e siècle en proposant une fluidité entre les différentes scènes et situations dans lesquelles se trouvent les personnages. Cette fluidité nous attrape et ne nous lâche plus jusqu’à la fin, tragique au point qu’on a du mal respirer.

Faut-il s’identifier à un personnage pour bien diriger un opéra ; dire à l’exemple de Flaubert – un rouennais fameux – Rigoletto, c’est moi ?

Personnellement, je m’identifie plus à la musique en général qu’à un personnage en particulier. Durant les représentations, je m’immerge dans l’univers sonore de l’œuvre que je suis en train de diriger. Elle devient un paysage dans lequel je voyage. J’accepte alors de m’absenter de la vie quotidienne car cela fait partie de la responsabilité du chef d’orchestre : voyager et surtout faire voyager, servir en ce sens de guide au public.
Quand je suis en phase de préparation d’un opéra ou d’une symphonie, je prends beaucoup de temps à lire et à étudier la partition. Je n’écoute en revanche aucun enregistrement. Cela ne m’empêche pas d’avoir des références. Une grande chanteuse verdienne que j’adore par exemple est Renata Scotto. Je connais bien ses enregistrements de Gilda. Quelle simplicité dans la manière ! Quelle voix !
J’apprécie aussi beaucoup les gravures d’une autre époque. J’adore me perdre dans l’écoute d’un coffret qui s’appelle « Les introuvables du chant verdien ». Quelle richesse dans l’approche de personnalités si différentes ! On a l’impression que tout est possible si l’on reste cohérent et fidèle à un chemin d’interprétation. J’ai appris en écoutant ce disque qu’il n’y a pas une seule école italienne de chant verdien mais autant d’écoles que de grands chanteurs. Il n’y a pas une vérité – si ce n’est celle de l’instant – il n’y a que des versions. C’est pour cela que lire attentivement la partition est un bon moyen pour trouver une vraie possibilité d’interprétation. L’expérience aide beaucoup : l’esprit va plus en profondeur.
Mais tout le travail théorique au final doit être relativisé car ce sont les autres – voix ou instruments – qui font le son. J’ai donc appris lors des répétitions à écouter très attentivement les chanteurs et les musiciens. Le résultat peut être à l’opposé de ce que j’ai imaginé dans mon coin pendant la lecture. Peu importe, ce qui compte pour moi c’est que la musique sonne bien, déclenche des émotions et transmette des énergies positives. Elle seule en est capable.

Vous participez à la vie de la cité en organisant des concerts pédagogiques et en intervenant en milieux scolaires et familiaux défavorisés ; Vous croyez vraiment que la musique peut arranger les choses ?

Je tiens fermement à l’idée qu’on a le devoir aujourd’hui de transformer la musique classique, considérée souvent comme un outil de luxe, en un outil de vie pour tous. Ce n’est pas une question de qualité, au contraire, la qualité n’est pas réservée à une élite. Beethoven a écrit par exemple une musique sur L’hymne à la joie qui adresse à l’univers un message de paix et d’amour.
Lors des rencontres avec les jeunes des « quartiers défavorisés » – une expression que je déteste parce qu’elle exclut les valeurs humaines – je vois tellement de vie et de joie dans les visages et les yeux des jeunes pendant qu’ils écoutent le son des instruments, la légèreté des mélodies, la pulsation des rythmes et l’harmonie entre les pupitres. Une simple note bien jouée peut apporter dans une vie difficile un peu d’espoir. J’ai envie que tous ces enfants aient l’occasion de faire un travail de créativité selon leur choix et j’ai envie de me battre pour qu’ils aient la possibilité de connaître autre chose que des problèmes.
Je pense que nous avons dans notre vie la possibilité d’améliorer les choses quand on le sent et quand on en a l’envie. Faire de la musique à un haut niveau permet de faire circuler des énergies positives.
A la sortie des concerts de musique classique, je rencontre de plus en plus de jeunes enthousiastes. Je leur parle ; je leur explique le côté « rock ‘n roll » d’une musique qui est vivante avant d’être classique ; je leur demande d’exprimer leurs émotions. Dans la vie quotidienne ils n’ont pas si souvent l’occasion de se préoccuper de leurs émotions et pourtant ils en ont tellement. Ecouter c’est faire de la musique aussi. On parle de l’émotion partagée à la fin d’un concert. Je souhaite que cette émotion partagée continue ensuite d’éclairer la vie de chacun…

Vous visez aujourd’hui à atteindre une envergure plus internationale ; pouvez-vous nous en dire plus ?

Mes années auprès de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen représentent pour moi une période d’une grande richesse. Faire naître une formation et l’accompagner jusqu’à ce qu’elle trouve son identité sonore engendre une relation forte et presque exclusive avec elle. Cette exclusivité était un choix de ma part, un choix qui, au final, m’a permis d’atteindre avec « mes musiciens » un haut niveau artistique, au point d’être invité avec un orchestre de province dans les salles parisiennes. Après avoir « bâti » à Rouen, je souhaiterais « ouvrir » mon travail vers l’étranger, c’est à dire travailler avec d’autres formations symphoniques, partager ma riche expérience rouennaise en m’impliquant avec tout l’enthousiasme que j’ai pour mon travail dans d’autres projets.

 

Propos recueillis par Christophe Rizoud

(*) Terme utilisé par Richard Wagner pour désigner une œuvre d’art total utilisant simultanément de nombreuses disciplines artistiques.
 

© Guy Vivien

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