Avec sa mine de grand dadais, d’éternel adolescent, Anders J. Dahlin parvient à nous faire oublier qu’il a 33 ans et qu’il traine son improbable silhouette sur les planches depuis bientôt dix ans. Suédois passionné de musique française, il nous parle de sa voix, rare « haute-contre à la française », de ses ambitions mozartiennes et de hockey sur glace.
Quand on observe votre calendrier attentivement, on se rend compte que presque 90% est constitué de musique française et que 70% de ces 90% a été composé par Rameau. Qu’est ce qui crée un lien si fort entre un chanteur suédois et le répertoire français ?
Ma saga baroque a commencé quand j’étudiais au conservatoire de musique de Falun (ndlr : chef-lieu de la Dalécarlie, dans le centre de la Suède, la ville a organisé les championnats du monde de ski nordique en 1993). C’est là que j’ai réalisé que ma voix était tout à fait différente des autres voix. A ce jour, je n’ai quasiment pas changé de son et j’utilise toujours le son qui me vient naturellement. J’ai réalisé l’adéquation qu’il y avait entre ma voix et le répertoire baroque quand je me suis aperçu que les coloratures rapides et les aigus me venaient naturellement. En 1997, j’ai mis la main sur l’enregistrement que William Christie a réalise d’Hippolyte et Aricie, je suis tombé raide dingue amoureux de cette interprétation et de ce que l’orchestre tirait de la partition. C’est là que la révélation est venue, je savais à quoi j’étais destiné. Le destin, si vous voulez… Quand j’ai appris que Christophe Rousset travaillait à Drottningholm, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai contacté pour passer une audition. Il m’a entendu en Hippolyte, justement. Et voilà neuf productions auxquelles j’ai pris part avec lui. Je pense que ça en valait la peine. Ce jour a vraiment changé ma vie. Je peux dire fièrement que j’ai collaboré avec certains des plus grands musiciens de notre temps et que la musique m’a baladé aux quatre coins du monde. Je n’échangerais mon métier contre aucun autre.
Vous semblez être une des rares véritables « haute contre à la française » en activité ; qu’y a-t-il de spécifique à cette catégorie vocale ?
On me pose souvent cette question et, franchement, je ne sais pas quoi répondre. J’ai tendance à répondre que ma voix me vient naturellement et que j’ajoute à cela une stricte observance des oukases stylistiques. Voilà le secret ! Mais il y a des lectures différentes ; par exemple, je ne pense pas que la voix de haute contre soit radicalement différente de celle du ténor chez Bach. Il n’y a que le tissu musical qui change. Ce qu’il y a d’excitant chez la haute-contre, c’est le drame qui l’entoure. La tessiture n’est pas toujours extrêmement haute, même s’il y a des passages extrêmement tendus, mais l’ensemble réclame beaucoup de profondeur, d’ampleur et une large palette de couleurs. C’est ça qui rend ces parties tellement excitantes à chanter. Cavalli, par exemple, est beaucoup plus extrême dans les aigus. Tant que l’interprète parvient à maintenir ce lien invisible entre le compositeur et l’auditeur, nous aurons droit à ces petits instants de divinité. Puis, impudiquement, je dirais qu’un chanteur ne doit pas avoir honte de prendre son pied au son de sa propre voix.
Vous avez chanté des rôles qui demandent « des couilles » comme l’impossible partie de ténor dans « Il Ritorno de Tobia » de Haydn. Est-ce que cela veut dire que dans une ou deux décennies vous serez un Titus ou un Idomenée ?
Oui, c’est un peu l’idée. Mon premier défi est de convaincre les gens que je suis parfaitement capable de chanter Mozart. Ma porte d’entrée serait idéalement Ferrando ou Belmonte. Mais j’aimerais bien défendre une vision moins guerrière et germanique du rôle de Tamino ; c’est malheureusement souvent la potion amère que doivent ingurgiter les spectateurs quand les maisons d’opéra optent pour des chanteurs de troupe. Je ne refuserais pas non plus le rôle de Tom Rakewell dans Rake’s progress, probablement l’un des meilleurs opéras jamais composés.
Votre dernier disque vient de paraître chez K617 (œuvres de Cavalli). Si je ne m’abuse, c’est votre 13e enregistrement ; comment parvenez-vous, dans ce contexte de crise du disque, à vous construire une telle discographie ?
D’abord, je ne me considère plus comme un jeune chanteur. J’aurai 34 ans ce mois-ci (ndlr : bon anniversaire, Anders !) et j’ai probablement atteint la moitié de ma carrière. Mais j’ai l’air d’un grand adolescent et comme les gens s’attachent énormément à l’apparence, voilà pourquoi je suis considéré comme un jeune chanteur et qu’on s’étonne de ma discographie. Mais à ce jour je n’ai pas encore réalisé de disque solo, ce qui j’espère arrivera un jour. Rameau est dans mon collimateur.
Anders Dahlin est également un joueur de Hockey. Etes-vous la même personne ?
J’aurais pu être la même personne, mais non ! Je viens d’une bourgade dans le Dalarna qui s’appelle Leksand, où la tradition du hockey est séculaire, j’y ai joué quand j’étais petit mais je n’avais pas le talent nécessaire à une destinée internationale dans cette discipline. Et d’ailleurs, cet Anders que vous mentionnez est vraiment un grand inconnu. Mon cousin s’appelle aussi Anders et il a atteint une notoriété supérieure dans un autre sport, celui qui consiste à vous déplacer sur une carte avec un compas et une boussole (ndlr : sport visiblement populaire en Suède). Anders et son cousin sont vraiment imbattables, ils ont remporté une compétition européenne en 2003. Cela étant dit, ma passion du hockey est restée grande, quasi aussi grande que ma passion pour la musique baroque française.
Propos recueillis et traduits par Hélène Mante
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