En 1910, Scott Joplin a 42 ans. Il ambitionne de créer un nouvel opéra, sept ans après l’ échec cuisant du premier (A Gest of honour). Nullement découragé, il veut frapper plus fort, sortir du cadre du seul ragtime opera, démontrer qu’il n’a pas à se réfréner à vouloir créer, lui l’afro-américain, fils d’esclave, un opéra encore plus ambitieux et dont il réalise livret et musique. Ce sera Treemonisha. Mais personne ne veut parier un dollar sur un tel projet. Joplin fait donc une partition pour piano qu’il orchestre puis publie à ses frais en 1911. L’œuvre est d’ailleurs plutôt bien accueillie par la presse musicale. On la joue bien une fois, en privé au Lincoln Theatre de Harlem, avec le compositeur au piano et toujours à ses propres frais, quelques années plus tard, sans grand succès. Joplin, déçu et malade, n’écrira plus jamais pour l’opéra et meurt en 1917.
Plus de 50 ans passent. Vera Brodsky Lawrence, pianiste et historienne de la musique américaine fait réapparaître la vieille partition de Scott Joplin. et des extraits en sont présentés au Lincoln Center à l’automne 1971. Mais la vraie résurrection de l’opéra de Joplin a lieu quelques mois plus tard, à Atlanta. Le 27 janvier 1972, il est en effet représenté dans une version pour orchestre, réalisée par Thomas Jefferson Anderson Junior, orchestrateur, chef et musicologue, avec, à la tête de l’orchestre symphonique d’Atlanta, Robert Shaw dont il faut rappeler qu’il fut l’un des premiers à intégrer dans sa fameuse chorale des afro-américains. C’est la chorégraphe Katherine Dunham qui règle danses et mise en scène. L’œuvre est fort bien accueillie.Lauréate du Prix Pulitzer, elle intéresse suffisamment pour que d’autres musicologues ou arrageurs se mettent à l’orchestrer.
Treemonisha est une jeune esclave affranchie, fille adoptive de Monisha, une femme de ménage qui rappelle indubitablement la propre mère de Joplin, et de Ned, qui l’ont trouvée abandonnée sous un arbre, ce qui explique son étrange nom. Elle vit au Texas – Etat dont Joplin est originaire. Instruite, sachant lire, elle alerte sa commuauté contre les dangers extérieurs et notamment les superstitions des sorciers, emmenés par Zodzetrick, et qui dépouillent les crédules avec de fausses promesses. La communauté la choisit comme leader et elle est aidée par Relus, son fiancé. Evidemment, les vilains ne l’entendent pas de cette oreille et veulent enlever Treemonisha. Remus la sauve grâce à son déguisement terrifiant, qui fait fuir Zodzetrick. Capturé, ce dernier redoute la vengeance de Treemonisha, mais elle s’y oppose et préfère administrer à tout ce petit monde une leçon de morale. Cheffe du village, institutrice, Treemonisha n’a plus qu’à célébrer l’harmonie retrouvée dans un merveilleux Real slow rag rempli de lumière.
Joplin épouse les formes de l’opéra européen, mais y intègre en 3 actes d’innombrables référence au ragtime, au jazz, au gospel, réalisant une œuvre unique en son genre et passionnante, pour notre plus grand bonheur.
Parmi les orchestrateurs de cette partition posthume, Gunther Schuller a enregistré sa version pour Deutsche Grammophon peu après sa redécouverte, avec l’opéra de Houston et la regrettée Carmen Balthtrop, disparue en septembre dernier, dans le rôle titre, qu’elle reprendra sur scène à Broadway (on peut en voir des extraits sur YouTube). Voici le merveilleux finale de cette partition unique, l’occasion de rendre hommage au grand musicien qu’était Scott Joplin.