A force d’entendre en une soirée les six cantates de l’Oratorio de Noël, réunies en une sorte de petite sœur des Passions, on en oublie que Bach les avait écrites pour qu’elles soient jouées sur plusieurs jours, entre Noël et le Nouvel An. A défaut de rééditer totalement les conditions de la création à Leipzig, en 1734, la Seine Musicale a choisi une voie médiane : au mois de décembre, les trois premières cantates avant, début janvier, les trois dernières.
Pour ce premier concert, l’Insula Orchestra et le Chœur Accentus jouent donc à domicile : sa connaissance intime des lieux et de son acoustique particulièrement intimiste permet à Laurence Equilbey de chercher constamment des nuances et des contrastes, qui attirent l’attention dès l’entame d’un « Jauchzet, frohlocket » moins pétaradant qu’attendu. Les arêtes et les angles semblent moins intéresser la cheffe que le lyrisme et le déploiement tout en souplesse des lignes mélodiques, un parti pris que l’on n’est guère amené à regretter tout au long de la soirée. Tout au contraire, l’introduction toute en légèreté de « Herrscher des Himmels », le dialogue parfaitement maîtrisé du hautbois et du basson dans « Bereite dich, Zion » ou encore la fraîcheur de la Sinfonia introduisant la cantate des bergers, séduisent et font vite oublier quelques scories du côté des trompettes. En témoignent des récitatifs parfaitement animés, où l’on ne se lasse pas de suivre la conversation entre les instruments et les voix.
Ces voix, justement, méritent d’être saluées. Celles des solistes, bien sûr : encore préservée de la Covid, qui lui a interdit de participer à la représentation du lendemain, forçant ses collègues à se répartir en catastrophe ses interventions, Kristina Hammarström dispense, à chacune de ses interventions, un timbre ambré, dont la texture capiteuse n’entrave pas l’agilité – « Schliesse, mein Herz, dies selige Wunder » est, à cet égard, un grand moment. Si elle commence la soirée plus en retrait, et que son haut registre accuse quelques raideurs dans « Er ist auf Erden kommen arm », Nuria Rial gagne en assurance au fil de la soirée, tandis que Julian Pregardien s’appuie sur sa diction et la clarté de sa voix pour donner à chaque intervention de l’Evangéliste sa juste éloquence. Quant à Samuel Hasselhorn, ceux qui ont suivi ses débuts plus que prometteurs apprendront sans surprise qu’il chante un « Grosser Herr, o starker König » à la fois noble et vigoureux, osant la pleine voix sans jamais tomber dans des écarts de style. Du côté des choristes, nous sommes tout aussi bien lotis. A six par partie, les chanteurs d’Accentus sonnent avec une impressionnante plénitude – mais sans faire trop « grand effectif » non plus : chaque pupitre se détache idéalement pour souligner la fantastique inventivité d’une écriture si exigeante, qu’elle revête les apparences de la simplicité (« Ach mein herzliebes Jesulein ») ou qu’elle se montre plus franchement virtuose (« Ehre sei Gott in der Höhe »). Tous ont fait plus que rendre justice à la partition de Bach ; ils en ont restitué l’humanité, l’élan, la joie profonde – l’esprit de Noël en somme.