A une vingtaine kilomètres de Parme, paresse Fidenza, une bourgade d’une vingtaine de milliers d’habitants dépourvue de charme – ce qui n’est pas si fréquent en Italie – car bombardée durant la seconde guerre mondiale puis reconstruite sans souci d’architecture. Seuls épargnés par les bombes, le duomo, remarquable témoignage d’art roman en Emilie-Romagne, et le théâtre édifié dans la 2e partie du XIXe siècle, bonbonnière à l’italienne de quelque 400 places dans laquelle le Festival Verdi a délocalisé cette année une production du Trouvère – pour l’anecdote, ce même ouvrage inaugura la salle le 26 octobre 1861.
Un Trouvère de seconde zone ? Tout porte au premier abord à le penser. L’exiguïté de la fosse impose un orchestre en formation réduite. Faute de place, les percussions ont été exilées dans les loges de côté. Familier du répertoire verdien, Sebastiano Rolli compense la modestie des effectifs par un sens de la mesure appréciable dans un tel contexte où tout excès de romantisme produirait un effet de loupe préjudiciable à l’ouvrage.
La mise en scène d’Elisabetta Courir fait aussi œuvre de sobriété. Quelques gradins modulables servent de décor ; les artistes du chœur sont mis à contribution pour favoriser les changements de tableau. La noirceur du drame justifie des costumes uniformément sombres, à l’exception de quelques fleurs blanches et de l’écharpe rouge de Manrico. L’usage parcimonieux des lumières achève de fixer pour règle l’obscurité. Rien de répréhensible à vrai dire si la mauvaise idée de flanquer Leonora d’une doublure n’enrayait l’engrenage dramatique. Ténor et baryton s’adressent à la figurante promue primadonna tandis que la soprano se trouve reléguée dans l’ombre.
© Roberto Ricci
D’aucunes, coupées dans leur élan expressif, ne s’en relèveraient pas. Tel n’est pas le cas de Marigona Qerkesi. Appelée à remplacer au pied levé Silvia Dalla Benetta, la chanteuse croate est la première des surprises d’une soirée qui en comporte plusieurs. Des débuts à l’âge de 22 ans en Reine de la nuit lui ont inoculé une virtuosité qu’elle a su préserver, comme en témoigne l’aisance et la précision avec lesquelles sont négociées les multiples fioritures de la partition. L’aigu lorsqu’il est allégé manque d’assurance (« D’amor sull’ali rosee ») mais une technique éprouvée, confortée par un médium affirmé, aide à surmonter les difficultés du rôle jusqu’à lui insuffler un frémissement auquel peu peuvent prétendre, s’agissant d’une partition dont on connaît l’exigence.
Angelo Villari, son Manrico, a beaucoup écouté Franco Corelli. Dès « Deserto sulla terra » chanté depuis la coulisse, la similitude des timbres est frappante. Si le chant ouvert, centré, puissant évoque celui de son aîné, l’excès de générosité s’avère à la longue un handicap dont la deuxième partie de la représentation tire les conséquences. « Ah ! sì ben mio », privé d’attentions belcantistes, cogne plus qu’il ne caresse. Choix volontaire ou non, « Di quella pira », bien qu’empoigné sans brutalité, évite le contre-ut. La fatigue devient perceptible dans le dernier tableau où le rayonnement de la voix semble altéré. Mais que de moments excitants avant que ce soleil noir ne se voile !
Tout aussi héroïque, Simon Mechlinski est un Comte de Luna superbe, à la ligne souveraine, rayonnant de jeunesse et d’insolence, même si, comme son partenaire, les passages plus élégiaques le montrent moins assuré (« Il balen del suo sorriso »).
A l’inverse, Rossana Rinaldi en Azucena n’est jamais aussi convaincante que dans la complainte (« Si, la stanchezza m’opprime »), les phrases plus dramatiques exposant des écarts de justesse et des tensions qu’un histrionisme malvenu tente de compenser.
Alessandro Della Morte en Ferrando paraît encore chancelant dans un rôle qui voudrait plus de maturité et de solidité.
Que les chœurs du Teatro Regio maîtrisent leur Verdi dans les moindres détails n’a rien d’étonnant mais les nuances dont ils se montrent capables sur une scène de dimension aussi modeste est une autre des surprises à porter au crédit de la soirée.