C’est la première fois, comme le souligne Antonio Pappano dans le magazine Diapason, que l’orchestre de l’Académie nationale de Sainte-Cécile – principal voire seul orchestre symphonique de renommée internationale de la capitale italienne – se produit dans la basilique de Saint-Denis à l’occasion de son Festival annuel. Et pour l’occasion, le programme choisi ne fait pas dans la routine trop souvent ronronnante des programmations de concert.
L’ouverture du Siège de Corinthe de Rossini est la plus familière des trois pièces de ce soir, sans être la plus jouée. L’orchestre a beau la connaître sur le bout des doigts, on sent bien que la réverbération assez meurtrière de la basilique le conduit à chercher sur le fil ses repères assez longtemps, d’autant que l’interprétation se veut démonstrative. Les cors flottent, les percussions trop fortes écrasent quelque peu les cordes. Les froncements de sourcils des premiers violons montrent que la troupe est à la peine. Mais Antonio Pappano tient ses musiciens et les rassemble enfin sans incident majeur.
Le morceau de « résistance » est moins célèbre – à part peut-être l’adagio non troppo ou le scherzo – et permet d’entendre une Sérénade n°1 de Brahms sans temps mort, espiègle et printanière, dans laquelle un effectif orchestral allégé (4 cors, 2 trompettes, 4 contrebasses notamment) atteint tout à fait sa cible, se jouant bien mieux des pièges du lieu, avec beaucoup de poésie et de finesse, mais aussi de virtuosité. Les cors ont alors retrouvé des couleurs autrement efficaces – ils seront d’ailleurs chaleureusement applaudis – et le premier violon solo, l’excellent Roberto González Monjas, déploie une sonorité très soyeuse et une grande classe dans le menuetto du 4e mouvement. L’orchestre a retrouvé sa confiance et son plaisir de jouer. Sur les visages, les sourires sont revenus, la complicité aussi.
Mais la pièce que tout le monde attend après l’ouvertutre, et qui permet déjà à l’orchestre de trouver de meilleures marques, est une rareté signée Rossini, sa cantate Giovanna d’Arco. Le cygne de Pesaro l’avait composée en 1832 « expressément » pour une jeune contralto qu’il venait de rencontrer à Paris, Olympe Pélissier, qui deviendrait sa seconde épouse en 1846. Cette cantate est en fait une grande scène mélodramatique d’un quart d’heure qui serait comme un opéra de poche avec court prélude, récitatifs, grands airs de bravoure et autres vocalises. À l’origine, elle était écrite pour piano seul. Le choix du sujet semble avoir été dicté à Rossini par son souhait de remercier la sainte patronne de la France d’avoir réchappé de quelque mauvaise maladie peu avant. Enième manifestation de son mal-être et de son hypocondrie bien connue, probablement.
C’est Teresa Berganza qui avait demandé à Salvatore Sciarrino d’orchestrer la cantate pour le festival de Pesaro de 1987, et c’est cette version qui est utilisée ici. L’orchestre, réduit aux cordes, aux cors et aux bois, est aux dimensions idéales pour fournir un écrin adapté à la voix de mezzo-soprano de Jeanne, incarnée par une Joyce DiDonato en grande forme. Il en faudrait d’ailleurs bien davantage pour déstabiliser cette grande artiste que les vocalises – pourtant assez impitoyables notamment dans le finale – ou que les quelques grands écarts de tessiture de cette partition ne peuvent impressionner. La chanteuse joue avec la réverbération de la basilique en l’utilisant même comme pour donner un prolongement céleste et éthéré à telle ou telle voyelle qui raisonne comme les voix que Jeanne entend. L’autorité de l’artiste est telle qu’on en oublie tous les autres autour d’elle. Le souffle, la projection, l’intelligence musicale, tout y est. Il faut dire que l’excellent chef lyrique qu’est Pappano l’accompagne luxueusement et avec tous les égards possibles. L’orchestre a retrouvé son homogénéité, désormais beaucoup plus à son aise. C’est peu dire que le finale héroïque et virtuose, lorsque Jeanne réclame une épée pour aller au combat, galvanise le public venu nombreux. Succès mérité, qui ouvre la voie à un bis. Rien moins qu’une somptueuse mort de Didon de Purcell qui met la salle définitivement aux pieds de l’Américaine. « Remember me » souffle Didon les yeux clos.