Voici une une reine de nos scènes qui sait mener intelligemment sa carrière, ménager sa voix, adapter son répertoire. C’est de Renée Fleming qu’il s’agit. La reine Fleming. Elle nous enchante depuis plus de trente ans.
En 1989, elle débutait dans Mimi à New-York. A présent, elle chante les « Poèmes pour Mi » de Messiaen. Quel parcours de Mimi à Mi ! Et , rassurez vous, on n’est pas dans la demi-mesure : on est aussi heureux aujourd’hui qu’autrefois !
Ses « Poèmes pour Mi », nous les avons entendus en l’Auditorium de Lyon.
Voyez-la entrer en scène, telle une souveraine. Robe en taffetas bleu aux épaules nues, coiffure à la blondeur éclatante et, autour du cou, un collier de diamants à mettre en émoi la place Vendôme !
photo A.P.
Messiaen est un compositeur que les artistes français ont un peu mis en veilleuse ces dernières années. Il faut une artiste américaine pour nous en rappeler le génie – qui plus est, accompagnée par un orchestre allemand ! Car l’orchestre qui l’entourait était celui de la Philharmonie de la Norddeutscher Rundfunk de Hannovre sous la direction d’Alan Gilbert.
Les « Poèmes pour Mi » sont neuf mélodies que Messiaen a composées sur des poèmes de son cru, et qu’il a dédiées à sa première femme qu’il appelait Mi.
Tout Messiaen est là. Ici, (dans les poèmes « Action de grâce » et « Prières exaucées ») la ligne vocale rappelle la psalmodie du plain-chant grégorien et se résout en de vibrants alleluia. Là surviennent les coups d’éclat des poèmes les « Deux guerriers » ou « Epouvante » – évocation de l’enfer aussi soudaine qu’inattendue. Ailleurs, laissez-vous aller à des moments de sensibilité et de prière : l’ « Epouse », la « Maison », la « Voix », le « Collier ». Renée Fleming passe d’une expression à l’autre avec une souveraine élégance. D’une voix sans faille au timbre velouté, elle va de la douceur à l’éclat, du grave à l’aigu, enchaîne sans effort les rythmes complexes et les intervalles exotiques qui font la magie de la musique de Messiaen. Ah, ces beaux Mi de la reine Fleming !
Un bémol, toutefois. L’orchestre fut trop pesant par moments. Il couvrit la voix. Les harmonies de cristal de la musique de Messiaen auraient mérité plus de transparence.
En revanche, en deuxième partie du concert, l’orchestre nous donna l’une des interprétations les plus belles, bouleversantes, grandioses, qu’on ait entendues de la 4e symphonie, dite « Romantique » de Bruckner. Là, l’orchestre fut à son affaire, donnant une dimension dantesque à cette partition hors norme.
Renée Fleming n’était plus là. On n’était plus en Mi – mais en mi bémol !…