L’Opéra de Marseille accueille jusqu’au 5 mai la production de Turandot signé Charles Roubaud, celle qui avait vu à Orange les débuts en Calaf de Roberto Alagna à l’été 2012. Forcément, entre le mur du Théâtre Antique et la scène de l’Opéra Municipal, engoncé dans les ruelles du vieux Marseille, les décors nous présentent juste l’entrée du palais impérial, ses colonnades et la coursive supérieure. Effet d’échelle nous sommes très proches de l’action. L’occasion de remarquer que bien que très traditionnel et versant dans le kitsch, notamment avec ses vidéos de dragons de pierre ou de lune ouatée par les nuages, le travail du metteur en scène suit les indications scéniques avec précision et savoir-faire. Ce doit bien être la première fois qu’on voit le peuple se faire fouetter quand Turandot l’exige ou qu’on nous donne à voir la nuit de sang que déclenche Calaf avec son énigme et qu’un « nessun dorma » élégiaque et rebattu tend à faire passer pour une mise en bouche à la nuit de noces. Dommage que ce soin des détails et l’attention portée aux déplacements du chœur ne s’étendent que très peu aux solistes, souvent cantonnés dans les positions et mimiques les plus attendues (pour ne pas dire caricaturale).
Le niveau musical s’avère, lui, enthousiasmant. Chœur et orchestre, en grande forme, transforment les scènes collectives et le chœur final en moment lumineux. Saluons la très belle prestation de la Maitrise des Bouches du Rhône. Cependant, la fosse du théâtre municipal déborde sur deux niveaux de loges de scène. Les claviers, percussions et la harpe déstabilisent la balance sonore : leurs interventions sont tous simplement trop présentes, comme s’il s’agissait de solo et non d’éléments d’ambiance que Puccini aura disséminés pour épicer sa partition. Roberto Rizzi Brignoli abandonne cette bataille des équilibres au dépend de sa fosse et s’efforce de mener l’action avec efficacité.
Fort heureusement, le plateau vocal ne s’en laissera pas compter en termes de décibels. Il ne manque aux trois masques, dominés d’une large tête par le baryton Armando Noguera, qu’un surcroit de facéties vocale pour combler la mesure de celles effectuées sur scène. Même vigueur vocale chez le Mandarin autoritaire d’Olivier Grand. Jean Teitgen y ajoute noblesse, style et obscurité du timbre pour composer un Timur touchant. Rodolphe Briand parvient à démarquer le personnage d’Altoum des autres rôles de ténors de la partition, sans en faire un empereur falot. Ludivine Gombert effectue quant à elle une prise de rôle réussie en Liu : longueur de souffle, timbre fruité et souplesse concourent à la réussite de ses airs. Manque encore cet art du piano sur le fil pour que cette petit esclave nous transporte tout à fait. Le public marseillais, habitué des voix latines et chaudes, reste de glace de la princesse toute aussi glaciale de Ricarda Merbeth. Le soprano allemand puise dans une technique toute wagnérienne pour imposer une femme altière, aux aigus aussi dardés que meurtriers. Pour autant la ligne vocale s’avère italianisante et seul le bas de la tessiture lui fait défaut. Le triomphateur de la soirée c’est Antonello Palombi et sa voix de stentor, taillée pour plaire au gout du vieux port. Pour autant, le ténor italien ne se contente pas d’une orgie de décibels et s’efforce à la musicalité et aux demi-teintes, même si elles ne sont pas toujours réussies. « Nessun dorma » surprend par sa sobriété avant que le duo final ne voit le retour du conquérant. Arrivé il y a deux semaines suite à l’annulation tardive de Rudy Park, il reçoit un triomphe aux saluts dont il met de longues secondes à se remettre.