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Dix mises en scène déconseillées au moins de seize ans

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21 septembre 2015

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Avec l’avènement des metteurs en scène, Il en est à présent de l’opéra comme du cinéma : certains ouvrages ne sauraient être mis devant tous les yeux. Voici une sélection amusée de quelques unes des mises en scènes parmi les plus scandaleuses de ces dernières années. La liste n’est évidemment ni exhaustive, ni définitive d’autant que là comme ailleurs, on assiste à une surenchère qui laisse présager dans les années à venir une généralisation et donc une banalisation d’un phénomène posant plusieurs questions. Faut-il toujours être explicite ? Peut-on montrer ce que la musique ne fait que suggérer, si tant est qu’elle l’ait imaginé ? Jusqu’à quel point a-t-on le droit d’interpréter les intentions du compositeur, voire de les détourner ? L’opéra, genre onirique s’il en est, doit-il refléter l’exacte réalité d’un monde en perte de valeurs ? D’un autre côté, ne faut-il ouvrir grand les portes des théâtres lyriques si l’on veut renouveler un art vieillissant, qui tourne depuis maintenant un siècle avec peu ou prou la même cinquantaine de titres ? Ne faut-il pas frapper les esprits avec des images parfois insoutenables pour inciter chacun à réfléchir et, qui sait, réagir ? Interrogeons-nous, il en est temps encore. [Christophe Rizoud]


1. Gyorgy Ligeti, Le Grand Macabre – mise en scène de Daniel Mesguich (Paris, Garnier, 1981)

Il y a plus de trente ans, un jeune homme de théâtre réalisait au Palais Garnier sa première mise en scène lyrique. Non seulement le texte très cru (en français selon la volonté du compositeur) choqua les tendres oreilles, mais les chastes yeux des spectateurs furent horrifiés : des femmes nues à l’Opéra de Paris ! C’était la première fois, mais ce ne serait pas la dernière. Après les figurantes en tenue d’Eve, viendrait le tour des chanteuses, notamment des Salomé allant jusqu’au bout de leur danse des sept voiles… [Laurent Bury]

2. Richard Wagner, Tannhaüser – mise en scène d’Olivier Py (Genève, 2005)

Comment évoquer la luxure du Venusberg au début de Tannhäuser ? Pardi, en demandant à un hardeur de traverser la scène nu, zizi en l’air. A Genève en 2005, la scène mit le feu au lac. Pouvait-il en être autrement ? Interrogé ici-même à ce sujet, Jean-Marie Blanchard, alors directeur du Grand-Théâtre, s’étonnait : « Tout cela prend une dimension folle et on oublie complètement Tannhäuser dans l’histoire : Nina Stemme, sublime, chantant dans son église de néons, à vous faire verser les larmes. Comment un scandale non voulu occulte les choses essentielles… La présence de cet homme nu en érection n’avait finalement rien de scandaleux dans le Venusberg. Comme le disait Olivier Py, regardez les didascalies, rien que les didascalies. Ce Venusberg, je le trouvais presqu’un peu sage ! ». Comme quoi, tout est relatif. [Christophe Rizoud]

3. Antonio Vivaldi, Ercole sul Termodonte – mise en scène de John Pascoe (Spoleto, 2006)

Un décor hérissé de phallus géants, et un chanteur qui, dans le rôle-titre, ne cache pas grand-chose de sa propre anatomie – tout juste le drapé « alla Pizzi » dont Hercule est (fort peu) vêtu vient-il masquer sa virilité. Bien sûr, ça ne dure pas très longtemps, le temps d’une scène seulement, mais grâce à laquelle John Pascoe a réussi à marquer les esprits. Si jamais le DVD tombe entre les mains de vos chères têtes blondes, imposez-leur le sous-titrage pour protéger leur innocence : le texte masquera au moins une partie de l’image. [Laurent Bury]

4. Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Eugène Onéguine – mise en scène de Krzysztof Warlikowski (Munich, Bayerische Staatsoper, 2007)

L’homosexualité est indéniablement une des clés de l’œuvre de Tchaïkovski en général et d’Eugene Onéguine en particulier. De là à faire coucher le héros de l’opéra avec son meilleur ami et transformer la fameuse polonaise en partie de jambes en l’air entre cowboys, il y a un fossé large et profond que Krzysztof Warlikowski n’a pas hésité à franchir dans sa représentation scénique de l’ouvrage à Munich en 2007. Huit ans plus tard, cette vision subversive continue de susciter des réactions controversées. Et pendant que les adultes, partagés, s’affrontent dans la salle à grand renfort de quolibets, les enfants restent consignés à la maison. [Christophe Rizoud]

5. Thomas Adès, Powder her face – mise en scène de Carlos Wagner (Londres, 2008)

Que l’histoire vraie de la Duchesse d’Argyll, photographiée en 1963 à son insu en train de tailler une pipe à un inconnu ne soit pas de celles que l’on raconte le soir à la veillée relève de l’évidence. Que Thomas Adès en fasse un opéra, créé en 1995 au festival Cheltenham, passe encore. La musique aide souvent à rendre moins crues les situations les plus scabreuses. Mais que la mise en scène en soit confiée treize ans après à Carlos Wagner, voilà qui laissait présager le pire quand on connait le radicalisme de ses (re)lectures. Si le parti fut évidemment pris de ne rien cacher, si la fameuse fellation fut représentée plusieurs fois sans la moindre équivoque, le résultat s’avéra finalement moins choquant que prévu. A force, on finit par être blindé. [Christophe Rizoud]
 

6. Nikolaï Rimski-Korsakov, Kitège – mise en scène de Dmitri Tcherniakov (Amsterdam, 2012)

Apologie du meurtre, incitation à la violence ? La férocité des envahisseurs tatares aura rarement été montrée de manière aussi explicite que dans la mise en scène de Kitège réglée par Dmitri Tcherniakov. Avec des scènes où la mafia russe n’hésite pas à violer, à torturer et à tuer comme pour le plaisir, un nouveau palier a peut-être été atteint dans ce qui est représentable sur une scène d’opéra. [Laurent Bury]

7. Richard Wagner, Der Ring des Nibelungen – mise en scène de Frank Castorf (Bayreuth, 2013)

Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Wagner en son royaume – Bayreuth –, il était important de marquer les esprits. C’est pourquoi, après quelques péripéties, il fut décidé de confier la nouvelle mise en scène du Ring à Frank Castorf, un des papes du Regietheater. Bingo ! Chaque soir des bordées d’injures et de huées accueillirent son travail dont on ne sait finalement ce qui fit le plus grincer les dents : la turlutte d’Erda à Wotan, le couple de crocodiles forniquant allègrement ou la kalachnikov avec laquelle Siegfried abat de sang-froid Fafner, préfigurant d’autres drames sanglants, bien réels ceux-là malheureusement.  [Christophe Rizoud]

8. Dmitri Chostakovitch, Lady Macbeth de Mtsensk – Mise en scène de Calixto Bieito (Vlaanderen Opera, 2014)

De la rencontre entre Calixto Bieito, metteur en scène réputé sulfureux, et Lady Macbeth de Mtsensk, opéra jugé dégénéré par la censure stalinienne, il ne fallait pas attendre un nouvel épisode des Barbapapas. Combat dans la boue, corps dénudés, scènes de viol et de sexe explicites et, comme souvent avec Bieito – c’est, plus que son goût pour la provocation, la raison de la considération dont il bénéficie –, des artistes si engagés que, le 29 mars 2014, le placard de la cuisine sur laquelle Ladislav Elgr (Serguei) besognait furieusement Austine Stundyne (Katarina) s’est décroché. Vous avez dit trash ? [Christophe Rizoud]

9. Gioachino Rossini, Guillaume Tell  – mise en scène de Damiano Michieletto (Londres, Royal Opera House, 2015)

Avec Sigismondo, Damiano Michieletto avait indigné le très conservateur public du festival de Pesaro. Depuis juin dernier, il a rejoint le petit club des auteurs de productions huées avec véhémence dans une maison d’opéra internationale. Pourtant, Londres avait déjà eu droit à une scène de viol collectif l’année précédente, dans La donna del lago. Mais celle que Michieletto situe pendant le ballet du troisième acte de Guillaume Tell fut autrement plus convaincante, et donc plus nauséeuse. [Laurent Bury]

10. Wolfgang Amadeus Mozart, L’enlèvement au sérail – mise en scène de Martin Kušej (Aix-en-Provence, 2015)

A l’heure où l’islamisme militant fait sans cesse de nouveaux ravages et ne cesse d’attirer de nouvelles recrues parmi les jeunes Occidentaux, il n’était peut-être pas très judicieux de montrer Osmin muni de têtes tranchées à la fin de la représentation de L’Enlèvement au sérail. Martin Kušej a donc été prié d’ôter de sa mise en scène, pourtant située il y a un siècle, tout ce qui pouvait un peu trop rappeler la situation géopolitique actuelle. [Laurent Bury]

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