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Dix mélodies à emporter sur une île déserte

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Humeur
22 septembre 2016

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Apparue au milieu du 19e siècle, la mélodie française est un genre trop souvent négligé, y compris des amateurs d’opéra. Pourtant, les raffinements harmonique, rythmique, stylistique de partitions qui, tout en obéissant scrupuleusement à la prosodie, restent attentives à la courbe vocale ne devraient laisser personne indifférent. Dix exemples pour en convaincre les moins convaincus.


1. Charles Gounod, « Venise » (1842)

Ce n’est pas une Venise de carte postale, figée dans la torpeur des clichés mais une Venise capricieuse et indécise que raconte Charles Gounod, une Venise inquiète dont le miroitement de l’eau des canaux se traduit par une légère instabilité tonale. Celui que Ravel considérait comme le « véritable instaurateur de la mélodie en France » s’empare des vers de Musset pour peindre d’un pinceau ambigu une Sérénissime envoutante dont il disait, dans ses Mémoires d’un artiste, « l’ivresse qu’elle procure est mêlée d’une mélancolie indéfinissable comme serait le sentiment d’une captivité » [Christophe Rizoud]

2. Hector Berlioz, « Zaïde » (1845)

Compassée et repliée sur elle-même, la mélodie française ? Que non ! Bien avant ces superbes espagnolades que seraient « Les filles de Cadix » de Delibes ou « El Desdichado » de Saint-Saëns, Berlioz succombait à un hispanisme coloré avec « Zaïde », éloge de la Grenade mauresque dans le goût des Orientales de Victor Hugo. Comment résister à l’entrain de cette partition qui garantit un réveil énergique ? [Laurent Bury]

3. Gabriel Fauré, « Tristesse » (1873)

Françoise Sagan aimait-elle Fauré autant que Brahms ? Sa « petite musique », n’est pas sans analogie avec « Tristesse », une mélodie sur des vers de Théophile Gautier appartenant à la période romantique du compositeur. L’écriture simple, discrète mais insidieuse creuse imperceptiblement une ride sur laquelle, face au miroir, on appose le mot « bonjour ». [Christophe Rizoud]

4. Henri Duparc, « Extase » (1877)

Rendu plus désincarnée encore par « un lys » en lieu et place de « ton sein » figurant à l’origine dans le premier vers du poème de Jean Lahor, « Extase » est la plus symboliste, la plus décadente des mélodies de Duparc. Cet hymne à la mort (la petite ou la grande ? Les deux, peut-être) semble préfigurer les étranges allégories de Khnopff. Reynaldo Hahn s’y est essayé lui aussi, mais la version Duparc est infiniment plus délétère. [Laurent Bury]

5. Ernest Chausson, « Le colibri » (1882)

Hanté par la musique de Wagner, Ernest Chausson exalte dans « Le Colibri » – un des Poèmes barbares de Leconte de Lisle – le fil ténu qui relie Eros – l’amour – à  Thanatos – la mort – et c’est à une Liebestod de quatre minutes que nous convie le compositeur : un rite mystérieux, forcément ascensionnel, dont la résolution tonale intervient, orgasmique, sur le mot « meurt ». [Christophe Rizoud]

6. Emmanuel Chabrier, « L’île heureuse » (1892)

Si l’Art Nouveau devait avoir un équivalent musical, peut-être faudrait-il aller le chercher du côté de Chabrier, avec les lignes ondoyantes et les couleurs diaprées de ses mélodies. Le pays où il nous invite à aller « là-bas vivre ensemble » n’a rien de mélancolique, et ressemble sans doute plus à Cythère qu’à une île déserte. [Laurent Bury]

7. Reynaldo Hahn, « L’heure exquise » (1892)

D’un des poèmes de Verlaine les plus mis en musique de la langue française, Reynaldo Hahn alors âgé de 19 ans a tiré une mélodie qu’il serait réducteur de dire « fin de siècle ». Son souffle doux et tiède, la délicatesse de ses arpèges et, inattendue à la fin du vers qui tient lieu de refrain, la soudaine montée de la voix dans l’aigu la font mieux qu’exceptionnelle : intemporelle. [Christophe Rizoud]

8. Claude Debussy, « Le tombeau des naïades » (1897)

La mode néo-grecque des années 1900, c’est Daphnis et Chloé, c’est le Prélude à l’après-midi d’un Faune, mais c’est aussi les Trois Chansons de Bilitis sur des textes de Pierre Louÿs, également inspirateur de l’opéra Aphrodite de Camille Erlanger. Debussy a aussi composé une musique destinée à la déclamation en mélodrame de douze autres Chansons de Bilitis, mais la version chantée porte mieux le frisson d’une antiquité archaïque où les hommes côtoyaient les dieux. [Laurent Bury]

9. Maurice Ravel, « Nahandove » (1925)

Pas le moindre relent de colonialisme dans les poèmes malgaches mis en musique par Ravel (il suffit pour s’en assurer d’écouter la deuxième de ces Chansons madécasses, « Aouah, méfiez-vous des blancs ! ») mais de l’exotisme, assurément, et surtout une intense sensualité, renforcée par le recours à quelques instruments qui complètent le piano, comme Maurice Delage l’avait fait en 1912 pour ses Quatre poèmes hindous. [Laurent Bury]

10. Francis Poulenc, « Nous voulons une petite sœur » (1934)

A céder aux sirènes d’un romantisme exacerbé par des poèmes exaltant jusqu’à l’excès le morbide et le sublime, on en oublierait que la mélodie française a aussi de l’humour. Pour preuve, « Nous voulons une petite sœur », une des Quatre chansons pour enfants composée par Francis Poulenc – plus voyou que moine sur ce coup-là. Si le texte aussi cocasse qu’absurde de Jean Nohain (dissimulant ses facéties sous le pseudonyme de Jaboune) ne vous arrache pas un sourire, c’est que l’on n’y comprend « rien, rien, rien » ! [Christophe Rizoud]

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