A la façon de Tonio, « militaire et mari » dans La Fille du régiment, Tatiana Probst cumule les fonctions. Soprano formée au CNSMDP, elle suit en parallèle de son cursus d’art lyrique des cours de composition. Mimi, Micaëla, Papagena à Lille ou Javotte à Paris le soir, elle s’adonne le jour à l’écriture de poèmes qu’elle met en musique, interprète et à présent enregistre. Son premier album The Matter of Time Project comprend une de ses mélodies en marge de pièces instrumentales, reflet d’un univers inquiet aux multiples influences : Wagner (Wotan’s Träumerei), le jazz (D’ombre et de Lumière) ou encore Dutilleux (Ainsi un nouveau jour). Cette multiplicité de références se traduit par une instrumentation savante, du piano à l’orchestre – Pasdeloup dirigé par Julien Masmondet –, en passant par la formation de chambre – Quatuor Rosamonde, trio… La silhouette vaporeuse de Nicole Garcia s’immisce brièvement entre deux pages, suivie plus loin d’autres récitantes. N’étaient les éclats de rire qui concluent l’ultime numéro – Exorde, un poème à plusieurs voix privé de musique –, l’ensemble suinterait la mélancolie et l’angoisse, les jours gris passés à contempler la pluie battre les vitres et, derrière les carreaux sales criblés de gouttes, l’éclairage livide de l’appartement d’en face. Chambre sans vue, en quelque sorte. D’où peut-être le cri de révolte qui déchire Les Ans volés – « ce crime, c’est le nôtre » – la seule pièce chantée du programme auquel Tatiana Probst prête les reflets écarlates de son soprano : « Je veux jouir d’un monde apaisé, éliminant ce cycle informe où la souffrance est liminaire ». Comme on la comprend.
Tatiana Probst sera à Paris Salle Gaveau ce vendredi 2 décembre pour interpréter des airs d’opéra et présenter quelques-unes des œuvres de cet album.