Pour certains, il était Griollet, le tailleur de La Fille du tambour-major. Pour votre serviteur, il reste Nathanaël dans la version Cluytens des Contes d’Hoffmann. Pour d’autres, il sera à jamais le protagoniste de Si j’étais roi, ou même Camille de Coutançon dans La Veuve joyeuse. Le ténor français André Mallabrera est décédé fin septembre 2017. Marcel Quillévéré lui consacre son premier numéro de « Voix d’autrefois et de toujours » et avec une réactivité admirable, le label Malibran publie un hommage à cet artiste un peu trop vite oublié.
Evidemment, ce disque offre l’écho d’une époque où l’on n’envisageait pas de chanter en France Le Barbier de Séville autrement qu’en français. D’une époque où l’on n’hésitait pas à bidouiller un peu les partitions pour les rendre plus conforme aux attentes du public : hélas, trois fois hélas, pour l’air de La Dame blanche et pour la romance de Maître Pathelin, noyées sous un nappage superflu de cordes et de bois, avec d’absurdes contrechants surajoutés, qui alourdissent ce qu’avaient composé Boieldieu et Bazin (un chef comme Jésus Etcheverry aurait pourtant dû pouvoir s’opposer à ce genre de bidouillage)… Il faudra donc parfois faire abstraction de cet emballage un peu désuet pour apprécier la grâce de l’interprète, grâce dénuée de toute mièvrerie et qui n’exclut pas une certaine vaillance quand la musique l’exige. Vertu peut-être passée de mode, jamais André Mallabrera ne fut grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf : les extraits réunis ici montrent qu’à de très rares exceptions près, il ne chercha pas à dépasser les limites de son format vocal (seul « Anges du paradis » l’oblige à aller un brin au-delà de ses ressources naturelles). Et à un artiste à la diction aussi claire, l’on pardonnera bien volontiers le O très ouvert de « Rose » dans l’air des Dragons de Villars : sans doute les voyelles de son Oranais natal valent-elles bien celles du sud de la France.
Pourtant, l’on aurait tort de croire qu’André Mallabrera appartient tout entier à un passé révolu. Sur le disque Malibran, il n’est pas qu’Almaviva traduit par Castil-Blaze : pour rester dans Rossini, il manifeste aussi une belle insolence dans les aigus de Néoclès, protagoniste du Siège de Corinthe, opéra infiniment moins donné dans les années 1960 qu’il n’est l’est aujourd’hui. Et si vous pensiez que Michel Sénéchal était alors le seul Comte Ory disponible, c’est une erreur dont vous serez détrompé. Dans un autre ordre idée, si vous connaissez l’air du jeune Bulgare d’Ivan IV de Bizet, couiné par le même Sénéchal, écoutez donc la fougueuse version Mallabrera de cet air normalement écrit pour une voix de mezzo, et vous cesserez de le trouver doucement ridicule.
Enfin, et ce sera peut-être une révélation pour plus d’un, André Mallabrera fut l’un des pionniers du renouveau baroque, certes bien avant William Christie, du temps de Jean-François Paillard ou des débuts de Jean-Claude Malgoire. Il nous montre qu’avant les Howard Crook et les Mark Padmore, la France possédait, si elle l’avait vraiment voulu, de quoi rendre vie à tout ce répertoire : le ténor se révèle tout à fait adéquat dans les emplois de haute-contre à la française, comme en témoignent notamment le trop bref extrait des Boréades ou un superbe sommeil de Renaud.