Dans un programme similaire à celui donné à Paris une semaine auparavant, Philippe Jaroussky a enthousiasmé le public de Baden-Baden ce vendredi 17 avril dans le cadre de la tournée de récitals organisée autour de la sortie de son dernier disque Green consacré à des mélodies françaises autour des textes de Paul Verlaine. Dans la très grande salle du Festspielhaus (2500 places tout de même), la voix du contre-ténor porte pleinement, réverbérée par d’élégantes surfaces de bois, ce qui permet notamment au piano et au quatuor de résonner chaleureusement, dans une ambiance intimiste, petit miracle en soi. Près de deux heures durant, le sextuor nous enchante et les vers de Verlaine scintillent, d’heure exquise en langueurs très peu monotones. Contrairement à Paris, Philippe Jaroussky ne reste pas les bras vissés au corps et propose une gestuelle qui oscille entre jeu d’automate et ange incarné, dans une troublante séduction, de quoi sublimer encore davantage une voix éthérée. Pour les symbolistes de la fin du XIXe siècle et notamment les peintres tels Gustave Moreau, l’androgyne, grâce à la réunion des contraires, représentait la perfection tant désirée. Quelle belle idée le chanteur a-t-il donc eue, lui dont ce répertoire est selon ses dires le jardin secret, de nous concocter cet hommage aux couleurs délicates. Pour introduire les bis, le public allemand a droit à des explications données dans la langue de Goethe avec beaucoup d’aisance. Las, pour les francophones, il est très difficile de tout entendre distinctement au cours du récital et le recours au programme s’impose. Ce qui n’altère finalement que très peu l’immense plaisir d’un public enthousiaste qui semble partager le bonheur indicible du Colloque sentimental. En plus des fleurs, quelqu’un offre une bouteille dans un boîtier vert à l’artiste : de l’absinthe, peut-être ? Après son hommage fin-de-siècle à l’Opium et ce voyage en compagnie de Verlaine très addictif, quel nouveau souvenir des jours anciens Philippe Jaroussky va-t-il maintenant nous accommoder dans une éventuelle trilogie décadente ? Un disque baudelairien ou un détour du côté du Chat noir par exemple ? À suivre… En attendant, pour se remémorer cette soirée précieuse et mémorable, reste le disque où nul n’est besoin du secours du livre pour profiter de chaque vers.
Philippe Jaroussky, contre-ténor ; Jérôme Ducros, piano ; Quatuor Ébène. Baden-Baden, Festspielhaus, vendredi 17 avril, 20h