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Cléopâtre, la première femme libre ?

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Actualité
12 octobre 2017
Cléopâtre, la première femme libre ?

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Le Théâtre des Champs-Elysées offre le16 octobre prochain une version de concert de Giulio Cesare in Egitto. Auparavant, faisons-mieux connaissance avec la véritable héroïne de l’opéra de Haendel : la reine d’Egypte, Cleopâtre.


Si la réputation de Cléopâtre a traversé les siècles, c’est en grande partie en raison du parfum de scandale qui a touché nombre de ses actions. On a dit d’elle qu’elle était impie et débauchée, menteuse et traîtresse, dépensière et envoûtante, et plus encore « Égyptienne », ce qui en soi était encore plus condamnable… « Argent, sexe, scandale… » : cette caractérisation très raccourcie du film de Mankiewicz illustre d’une manière générale la réception du personnage historique par notre monde actuel.

Mais qui était donc la vraie Cléopâtre ? Et d’abord, était-elle vraiment belle ? Le faible nombre de témoignages archéologiques, et le fait que bien des « portraits » ne soient pas attestés, rendent difficile une analyse objective. On peut néanmoins relever quelques constantes : grand yeux, pommettes saillantes, bouche petite voire mutine, et bien sûr un nez remarquable, constituent les caractéristiques principales d’un visage relié par un cou relativement fort à une poitrine parfaite. Et si les représentations stéréotypées sur les murs des temples ne cherchent pas vraiment une quelconque ressemblance, les monnaies de l’époque tirent au contraire vers un réalisme frôlant la caricature : yeux encore plus grands, menton proéminent, nez parfois démesuré… Néanmoins, il ressort de tous ces portraits une impression de force de caractère et de volonté indéniables.

Son pouvoir de séduction résidait donc aussi dans d’autres charmes. Lucain parle de sa « beauté malfaisante [et] fardée », et de sa « poitrine éclatante à travers un voile ». Pour Florus, personne ne pouvait résister à sa séduction. Plutarque s’interroge quant à lui sur son pouvoir magnétique : « sa beauté seule, à ce que l’on dit, n’était point si incomparable […] ni telle qu’elle ravit immédiatement ceux qui la regardaient » ; et il souligne que c’est quand elle parle qu’elle surprend et « ravit » ; les propos qu’elle énonce, vifs et intelligents, sont dits d’une voix suave « qui assaisonnait tout ce qu’elle disait » ; c’est ainsi qu’elle tenait sous son charme les auditeurs « qui ne pouvaient échapper à sa prise ».

Née en 69 avant J.-C., elle est la septième princesse grecque à porter ce nom. Sa vie, singulièrement originale, est faite de successions de moments épiques, pour ne pas dire excitants. Elle succède en 51 avant J.-C. à son père Ptolémée XII Aulète, mais aussitôt se trouve plongée au milieu de querelles de palais mettant à chaque instant son pouvoir – et sa vie – en danger. De ce fait, pour conserver son trône, elle est contrainte d’éliminer bon nombre de ses proches. Heureusement, elle a plusieurs atouts politiques qui vont lui être très utiles. Son intelligence, d’abord, est hors du commun, elle parle une dizaine de langues, dont l’égyptien. Mais surtout, elle respecte les croyances et les divinités locales, permettant à la civilisation égyptienne antique de jeter ses derniers feux.

Toutefois, elle doit, comme son père, faire appel aux Romains pour l’aider à maintenir à la fois sa position de reine, et l’indépendance de son pays. C’est dans ce contexte qu’elle conclut à l’absolue nécessité de rencontrer Jules César qui vient d’arriver en Égypte pour un séjour de 9 mois. N’arrivant pas à obtenir de rendez-vous, elle use d’un subterfuge raconté par Plutarque ; elle se cache dans un tapis qu’elle lui fait envoyer en présent ; lorsque le porteur le déroule devant lui, elle apparaît à ses yeux, et n’est pas longue alors à le subjuguer. S’ensuit une idylle qui culmine lors d’une croisière sur le Nil, où la reine d’Égypte ne ménage aucun effet de décorum, avec musique et danse. Naît de cette union un fils, Césarion, qu’elle emmène avec elle à Rome, où elle va rejoindre son amant. Séjour écourté par l’assassinat de ce dernier en 44.

Cléopâtre doit alors trouver pour l’Égypte un nouveau protecteur. Marc Antoine, responsable des provinces romaines orientales, cherche aussi une alliance, et lui propose de la rencontrer à Tarse. Elle accepte aussitôt, d’autant qu’elle l’avait déjà croisé à Rome et qu’il ne lui était pas indifférent. Elle va donc mettre en œuvre une vaste entreprise de séduction, de manière à rendre cette rencontre aussi inoubliable que mythique. Conquis, il la suit à Alexandrie où ils vont vivre un hiver torride, duquel naissent deux jumeaux, Alexandre et Cléopâtre. Antoine est néanmoins contraint d’épouser Octavie, la sœur de son rival politique Octave. Il n’en poursuit pas moins ses assiduités, et rencontre à nouveau Cléopâtre à Antioche. Elle arrive à ses fins, et obtient de lui une nouvelle organisation du monde antique la favorisant ainsi que ses enfants.

Mais à Actium (31 avant J.-C.), la flotte d’Octave met en déroute celle d’Antoine et de Cléopâtre. C’est à Alexandrie, où ils sont réfugiés, que s’achève l’histoire en 30 avant J.-C. Préfigurant celle de Roméo et Juliette, Antoine, apprenant la fausse nouvelle de la mort de Cléopâtre, se frappe d’un coup d’épée et meurt dans les bras de son amante à qui on l’a amené expirant. Pas d’autre échappatoire pour elle que le suicide. Poison ou morsure de vipère aspic ? La postérité à tranché pour la seconde solution, qui permet aujourd’hui de repérer instantanément les tableaux représentant cette mort romanesque, par le petit serpent qui soit lui mord le sein, soit s’enroule à son bras, soit se sauve une fois son forfait accompli. Ainsi s’éteint la dernière reine – et la plus connue – de la dynastie macédonienne des Ptolémées Lagides.

Il n’est donc guère étonnant que le théâtre lyrique – après le théâtre parlé – se soit lui aussi intéressé à ce personnage protéiforme. On dénombre plus d’une cinquantaine d’opéras ayant adapté un ou plusieurs épisodes de la vie de la reine d’Égypte, sans compter les ballets et autres pièces musicales, accompagnements et musiques de scène. Ainsi Cléopâtre est-elle chez elle sur scène : bien sûr le Giulio Cesare in Egitto de Haendel (1724) reste aujourd’hui encore l’œuvre la plus souvent représentée. La Cleopatra et Cesare de Graun (1742), créée pour l’ouverture du Deutsche Staatsoper de Berlin, y a été redonnée 250 ans après. Certaines sont bien oubliées, comme La Morte di Cleopatra de Sebastiano Nasolini – 1791, ou la Cleopatra de Joseph Weigl – Scala 1807. D’autres n’ont pas vraiment trouvé les faveurs du public et sont très rarement jouées (comme celles de Rossi – 1876, de Massé – 1885 ou de Massenet – 1912). Et bien d’autres encore sont venues s’ajouter au XXe siècle à une liste déjà bien longue.

Cléopâtre, qui continue ainsi à se survivre entre Histoire et modernité, ne serait-elle pas le premier prototype – bien longtemps avant Carmen – d’une certaine forme de femme libre ?

Éléments de bibliographie :

  • Edith Flamarion, Cléopâtre, vie et mort d’un pharaon, Paris, 1993.
  • Christiane Ziegler, « Cléopâtre ou les séductions de l’Orient », dans le catalogue de l’exposition Egyptomania, Musée du Louvre, Paris, 1994, p. 552-566.

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