Tout commence par un titre trompeur : tel qu’il est présenté, le volume publié chez L’Harmattan laisse attendre une étude sur la diffusion et/ou la réception des œuvres de compositeurs français à travers le continent, « dans l’Europe musicale ». Ce n’est pas du tout ce que propose l’ouvrage de Frédéric Robert, docteur en musicologie auquel on doit notamment deux numéros de la célèbre série « Que Sais-Je ? » aux Presses Universitaires de France (La Musique française au XIXe siècle, 1963, et L’Opéra et l’Opéra-Comique, 1980). Quand on ouvre le volume, on comprend bientôt qu’il s’agira en fait de deux « Que Sais-Je ? » juxtaposés, dont le premier s’intitulerait « La Musique en Europe », l’autre « La Musique en France » pour les trois décennies allant de 1863 à 1894. Pourquoi ces bornes temporelles ? La première, année où Les Troyens fut enfin monté à l’Opéra de Paris, et la seconde, qui vit la création du Prélude à l’après-midi d’un faune, délimitent un « âge de transition » que l’auteur situe entre un « âge d’or » romantique et un autre, moderniste. Et après 65 pages évoquant tous ceux qui faisaient en ce temps-là « l’Europe musicale », « la Musique française » a droit à un peu plus de 100 pages, bien qu’il ne s’agisse que d’un entre-deux, avant l’érection du pilier Debussy et après celle du pilier Berlioz.
Après le tour d’horizon par pays en première partie vient le tour d’horizon par genres musicaux dans la seconde, d’où un certain nombre de chevauchements assez inévitables. Surtout, il faut subir les partis pris de monsieur Robert, qu’on peut résumer assez facilement : la musique italienne ne vaut rien en dehors de Verdi, et encore, tandis que le dieu Wagner écrase tout. Les autres compositeurs sont évalués selon qu’ils se sont ou non « référés » au maître suprême, avec un « peut mieux faire » s’ils se sont contentés d’imiter Tannhäuser ou Lohengrin, ces ouvrages n’étant pas encore assez « avancés », selon une conception téléologique de l’histoire de l’art qui « progresse » nécessairement vers un mieux. Hélas, même La Walkyrie est gâté par le Chant du Printemps de Siegmund, « dernier hommage à peine voilé à Bellini ». Borodine, lui aussi, a commis dans l’ouverture du Prince Igor « certains italianismes » qu’il aurait « peut-être corrigés » s’il avait vécu plus longtemps ; Halévy et Meyerbeer n’ont écrit que des « feuilletons lyriques » ; Haendel semble n’avoir composé que des œuvres orchestrales et des oratorios ; être « proche de Massenet » revient à commettre des « fautes de goût » : autant de jugements à l’emporte-pièce, d’un autre âge, que l’on espérait ne plus lire en 2017, surtout sous la plume d’un musicologue.
Le volume se termine par toute une série de tableaux chronologiques, quelque pages d’« exemples musicaux » manuscrits et donc plus ou moins lisibles, vingt pages de « Programme de concerts mémorables » d’un intérêt limité, et une regrettable absence d’index.
Evidemment, un aussi vaste survol ne peut éviter les approximations et erreurs factuelles : on s’interroge ainsi sur « la belle prestation de Pauline Viardot » malgré laquelle Polyeucte de Gounod n’a pas connu le succès, et l’on se demande comment Ivan IV de Bizet a pu connaître un « échec » en 1865 puisque cette partition ne fut pas jouée avant le milieu du XXe siècle. Quant à l’auteur du poème La Damoiselle élue, Dante Gabriel Rossetti, ce n’est pas simplement « un poète anglais affilié aux peintres préraphaélites », mais bien l’un des principaux fondateurs de la Confrérie pré-raphaélite, et lui-même autant peintre que poète.
On signalera enfin un sens de la ponctuation assez personnel, un goût excessif pour l’adjectif « divulgué » employé comme synonyme de « joué », « interprété » ou « diffusé », et quelques déséquilibres curieux (les opéras de Tchaïkovski expédiés en une ligne, alors que Balakirev a droit à une interminable citation détaillant sa vie et son art).