L’amateur d’opéra, souvent sectaire, aurait tort de réduire Vincent d’Indy à son seul Fervaal, épigone de drame lyrique wagnérien, exhumé à Montpellier il y a peu de temps (et sans doute pour un certain temps étant donné les exigences du rôle-titre). Même si profuse, l’édition de ses écrits, initiée en 2019 par Gilles Saint Arroman, aide à lever quelques œillères. Le premier volume, de 1877 à 1903, reflétait en plus de 500 pages « la multiplicité des combats menés par Vincent d’Indy, la diversité des passions qui ont pu le pousser à prendre la plume » ; le deuxième, de 1904 à 1918, révèle les innombrables facettes d’une personnalité saluée par Claude Debussy pour cette « hardiesse tranquille […] à aller plus loin que lui-même ».
Compositeur donc mais aussi chef d’orchestre, président de la Société nationale de musique, professeur au Conservatoire, directeur de la Schola Cantorum – mouvement de redécouverte des polyphonies d’origine chrétienne… « Tout cela me laisse bien peu de temps disponible » constate le musicien lors d’une enquête publiée par l’Intransigeant en août 1907, avant d’énumérer les « joies artistiques » qui l’attendent : la collaboration demandée par Messager pour monter Hippolyte et Aricie ; la première représentation de Dardanus qu’il a accepté de diriger à Dijon ; puis la présentation à la Schola Cantorum de quelques œuvres rarement – « ou jamais » – exécutées en France ; « et aussi Euryanthe, cet admirable opéra de Weber qu’on ne connaît absolument pas chez nous » ; enfin une tournée de concerts en Russie pour y faire connaître notre jeune musique française ». Et Vincent d’Indy de conclure, non sans malice : « je crois bien que ce sera tout l’emploi de mon hiver ».
Il n’est pas d’homme trop occupé qui ne sache trouver de nouvelles occupations. A ces multiples responsabilités s’ajoute une activité littéraire intense, comme en témoigne le nombre d’écrits recensés dans le présent volume. Les explications glissées par Gilles Saint Arroman entre chaque texte aident à comprendre les prises de position parfois farouches, notamment durant les années de guerre où Vincent d’Indy peut donner libre cours à un antigermanisme de plus en plus agressif. « J’ai toujours aimé la bataille » confie-t-il dans une lettre à Isaac Albeniz en 1900. Wagner, seul, demeure épargné – « Ne serait-il pas suprêmement imbécile de bannir de chez nous des chefs-d’œuvre tels que Parsifal, Tristan, Les Maîtres Chanteurs qui appartiennent au plus noble domaine de l’art universel ? ».
Le nombre de lettres ouvertes, interviews et articles dans les quotidiens et revues musicales peut étonner de la part de celui qui affichait un certain mépris pour le journalisme. C’est que là comme nulle part ailleurs, d’Indy peut donner libre cours à son bellicisme et rendre coup pour coup aux critiques dont il fait l’objet. « On n’attaque que ce qui est fort » assène-t-il en 1909 à Auguste Sérieyx, un de ses confères de la Schola Cantorum.
La fin d’année 1907 voit tourner au vinaigre la polémique déclenchée par les représentations d’Iphigénie en Aulide à l’Opéra-Comique. Initiée par un article dans le quotidien artistique Comœdia, la querelle, d’abord scripturale, s’achève par un duel au pistolet un petit matin de janvier 1908 au Parc des Princes sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée. Reprise en 1922, la collaboration avec Comœdia figurera sans nul doute au troisième et dernier volume de ces écrits, incontournables pour qui veut comprendre les enjeux de la musique en France au début du 20e siècle.