Giuseppe Verdi (1813 – 1901)
Giovanna d’Arco
Dramma lirico en un prologue et trois actes
Livret de Temistocle Solera d’après le drame de Friedrich von Schiller « Die Jungfrau von Orleans »
Mise en scène, Gabrielle Lavia
Décors, Alessandro Camera
Costumes, Andrea Viotti
Lumières, Andrea Borelli
Carlo VII, Evan Bowers
Giacomo, Renato Bruson
Giovanna, Svetla Vassileva
Delil, Luigi Petroni
Talbot, Maurizio Lo Piccolo
Orchestre et choeur du Teatro Regio di Parma
Direction musicale, Bruno Bartoletti
Festival Verdi, Teatro Regio, Parme, 17 octobre 2008, 20h
Chant de ruines
Les oiseaux de mauvais augure, désireux d’entretenir leurs idées noires, prendront le pouls du chant verdien au poignet de cette Giovanna d’Arco parmesane.
Un baryton en fin de parcours, Renato Bruson, qui après 47 années d’une carrière remarquable, au service entre autres de Verdi (et comment ! Son Renato d’Un Ballo in Maschera enregistré dans les années 70 est une référence) n’a évidemment plus les moyens de répondre aux exigences de Giacomo (même si le rôle n’est pas des plus ardus ; on en connaît dans ce répertoire d’autrement difficiles : Renato justement mais aussi Rigoletto, Posa, etc.). Les tensions de l’air du premier acte, « Franco son io », font maintenant vaciller le géant.
Un ténor impavide, Evan Bowers, malheureux remplaçant de Marcelo Alvarez à La Bastille en 2007 – encore Un Ballo in maschera – guère plus chanceux en Charles VII qu’en Riccardo : timbre gris, émission engorgée, absence de velours, incapable de l’allant et de l’élan lyriques d’un jeune roi amoureux (« Vieni al tiempo »).
Une soprano bulldozer, Svetla Vassileva, fatiguée peut-être (il parait qu’elle faisait toutes les notes lors des représentations précédentes), mais qui ce soir déraille dans l’aigu et s’enivre de décibels pour masquer ses insuffisances avec, au bout du compte, un matériau vocal en charpie : sons hurlés, vibrato à donner le mal de mer, vocalises bousculées. Huit ans après, que reste-t-il de la jeune lauréate du Concours Traviata à Vienne ?
Mais à quoi bon s’égarer dans la triste contemplation d’un champ (chant ?) de ruines. Renato Bruson, malgré l’usure du tranchant, conserve le magnétisme, la ligne, le style et puis Giacomo n’est plus un jeune homme. La force de la caractérisation, exemplaire au dernier acte, lui vaut une ovation. Evan Bowers ne manque pas de puissance, et Svetla Vassileva, quand elle allège son instrument, peut offrir quelques jolies notes filées (« O fatidica foresta »). D’un point de vue dramatique, son portrait de Jeanne d’Arc – coiffée court à la Milla Jovovich, la féminité soulignée par le collant et l’armure, fougueuse, passionnée, sauvage – est d’une belle vérité que la mise en scène de Gabriele Lavia lui donne tout loisir d’exprimer. Les costumes luxueux et les décors figuratifs, avec comme rideau de scène une spectaculaire charge de cavalerie doublé d’un astucieux dispositif qui facilite les changements de tableaux à vue, ajoutent à l’impact théâtral. Seule faute de goût, le ballet grotesque des esprits malfaisants, déguisés en bouc, et la procession des esprits bienfaisants dont le ridicule souligne l’une des faiblesses de la partition. Etait-il bien utile de rappeler à ce moment, même involontairement, que Giovanna d’Arco n’est pas le meilleur des opéras de Verdi ? D’autant que l’œuvre est supérieure à sa réputation : le rôle de Jeanne évidemment et certains raffinements dans l’orchestration que la direction intelligente de Bruno Bartoletti, admirable aussi dans son exacte pulsation, sait mettre en valeur. A défaut de chant, un chef verdien.
Christophe Rizoud