Au même titre que Carmen ou Rigoletto, Tosca fait partie des œuvres les plus courues du répertoire. Présente sans discontinuer sur les plus grandes scènes, la diva la plus célèbre du monde de l’opéra, avec laquelle des cantatrices aussi nombreuses qu’illustres ont croisé leur destin, s’est souvent incarnée dans de monumentales proportions : gosiers sur-vitaminés, orchestres pléthoriques, mises en scènes grandioses ont donné de Tosca une image parfois contestée, mais toujours vivace, collée à l’oreille du moindre mélomane. Cette production, réalisée par une équipe scénique et musicale a priori habituée à des œuvres plus intimes, avait alors de quoi inquiéter – et finit pourtant par réjouir.
Prenons Jean Claude Malgoire, par exemple ! Nous l’attendions prudent, pusillanime même, ménageant aimablement son orchestre, afin de ne pas exposer trop crûment ses carences. Nous cherchions, à l’avance, tous les charmes que pourraient comporter cette Tosca «Lullyste » à laquelle nous nous étions préparés, nous nous apprêtions déjà à vanter son originalité, son érudition, mais ce sans réelle conviction. Et voilà que Malgoire sort, dès les premières mesures, de sa sagesse usuelle pour nous proposer une « vraie » Tosca, vive, éclatante, fiévreuse, qui ne renie en rien tout ce que l’œuvre comporte d’extrême et de violent. Nous ne le savions pas capable de si beaux emportements, ni l’Orchestre du Grand Théâtre de Reims si coloré et subtil !
La distribution est à considérer sur la même base : le trio de tête a fait ses premières armes dans le baroque, et sert aujourd’hui Puccini avec brio ! Hjördis Thébault fait apprécier une voix superbe, opulente, qui mériterait de faire le tour du monde. Les accents de sa frémissante Floria Tosca sont d’une grande justesse, tout juste déparés par une prudence vocale parfois excessive (les aigus mériteraient d’être tenus plus longtemps). Son brûlant Mario est Gilles Ragon : n’étaient quelques sons trop ouverts, l’instrument est idéalement adapté à l’écriture puccinienne, et la présence, bravache et farouche, est un modèle d’incarnation théâtrale. Si Pierre-Yves Pruvot bénéficie également d’une solidité vocale à toute épreuve, c’est le rayonnement attendu, tout en menaçante sensualité, et qui a fait tout le prix des meilleurs Scarpia, qui fait ici défaut. Nous voyons un sadique, nous aimerions trembler devant le séducteur. Le reste du casting, d’une probité à toute épreuve, ne dépare jamais un ensemble plus qu’honorable, où personne ne joue aux Grand-Guignols de poche.
C’est scéniquement, peut-être, que les limites de cette Tosca de chambre, musicalement d’une réelle ampleur, se font sentir : Christian Schiaretti encombre l’étroitesse de l’espace, au lieu de s’en accommoder. Sur un axe cour-jardin assez réduit est concentré l’essentiel des déplacements. Difficile par conséquent d’apprécier les qualités que l’on apprécie habituellement dans les spectacles de Schiaretti. Reste à cette production sa très réelle probité, et son atmosphère sombrement inquiétante (mais pas hitchcockienne pour autant). Et reste à cette soirée une découverte non négligeable : présentée dans un petit espace avec de petits moyens, Tosca conserve intacte sa force ; sans doute la marque des grands chefs-d’œuvre…