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La sonnambula — New York

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Spectacle
14 mars 2009
A dormir debout !

Note ForumOpera.com

1

Infos sur l’œuvre

La Sonnambula (Bellini, Pido – New York)

Détails

Vincenzo Bellini

(1801 – 1835)

 

LA SONNAMBULA (1831)

Opéra en deux actes

Livret de Felice Romani (1788 – 1865)

D’après la pièce « La Somnambule » (1819) d’Eugène Scribe

et son adaptation en ballet-pantomime (1827) par Jean-Pierre Aumer

 

 

Production Mary Zimmerman

Décors Daniel Ostling

Costumes Mara Blumenfeld

Lumières T. J. Gerckens

Chorégraphie Daniel Pelzig

 

Amina Natalie Dessay

Elvino Juan Diego Flórez

Rodolfo Michele Pertusi

Lisa Jennifer Black

Teresa Jane Bunnell

Alessio Jeremy Galyon

Un notaire Bernard Fitch

 

Direction Evelino Pidò

 Orchestre et Chœurs du Metropolitan Opera de New-York

 

 

New-York, le 14 mars 2009 (soirée)

 

 

A dormir debout !

 

Pour une grande partie des lyricomanes européens, le Metropolitan de New-York symbolisait jusqu’à présent ce qu’il est de bon ton ici de considérer comme le comble de la ringardise : productions monumentales, reconstitutions historiques en guise de décors, toiles peintes défraîchies pour les spectacles les plus anciens, direction d’acteur réduite au minimum. Pas question d’imaginer une quelconque relecture, voire une simple transposition. Quelques rares exceptions (Carsen, Wilson …) venaient juste confirmer la règle : ici, on ne chante pas les scènes de folie sur une balançoire et on ne se sent pas obligé d’évoquer les horreurs du nazisme pour les fêtes de fin d’année. Raccourci injuste qui oubliait de mentionner que le Metropolitan choisissait ainsi de donner un cadre idéal aux voix, privilégiant sciemment la qualité musicale sur l’originalité théâtrale. C’est ainsi qu’on a pu entendre dans des conditions exceptionnelles et durant des décennies, la fine fleur du chant mondial dans le cœur du répertoire. Pour simplifier, « tout le monde et dans tout ! »… ou presque.

  

Les choses ont changé avec l’arrivée de Peter Gelb, nouveau directeur, plein d’idées pour lutter contre l’érosion des recettes et le vieillissement du public (un an de plus chaque année, ces dernières saisons). Un traitement moins énergique mais similaire à celui préconisé initialement par le Dr Mortier pour sauver le New York City Opera voisin : exit les vieilleries à la Zeffirelli et place aux approches plus contemporaines. D’autant qu’un pan de mur gris en guise de décor unique, ça coûte toujours moins cher que les fresques spectaculaires du metteur en scène italien. Et pour que ça coûte encore moins cher, et pour prendre encore moins de risques, voilà que le Met rachète à tour de bras des productions européennes bien amorties : La Fille du régiment de Laurent Pelly, mille fois vue les saisons dernières, La Traviata de Salzbourg (quasiment « clef en mains », avec les interprètes principaux), De la Maison des morts venue d’Aix-en-Provence… Une politique qui présente peu d’intérêt pour les voyageurs lyriques, mais ceux-ci ne constituent pas la principale clientèle de la maison…

 

En vendant ainsi son âme au diable, le Metropolitan a-t-il fait le bon choix, ou simplement lâché la proie pour l’ombre ? L’avenir nous dira la pertinence de cette révolution, mais pour l’heure les résultats sont discutables en ce qui concerne les productions « maisons ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’institution new-yorkaise risque d’ailleurs de se retrouver bientôt à la tête d’un stock de ratages, au mieux dans la moyenne des théâtres européens (c’est-à-dire, beaucoup). En témoignent deux productions récentes : le nouveau Trovatore de David Mc Vicar et la présente Sonnambula de Mary Zimmerman.

 

Le Metropolitan doit à Mary Zimmermann une nouvelle Lucia di Lammermoor plutôt sage. Peut-être le metteur en scène a-t-il voulu prendre sa revanche, toujours est-il que cette Sonnambula aura pas mal déconcerté le public de la première qui a manifesté violemment contre le sort réservé au chef d’œuvre de Bellini. Archaïsme ridicule ? Voire. Il est vrai que l’œuvre recèle a priori une certaine mièvrerie et qu’il est bien difficile de la mettre en scène pour un public contemporain. C’est d’ailleurs tout le talent qu’on peut attendre d’un metteur en scène : être capable d’en faire revivre les canons alors que le monde ne les comprend plus.

 

Pour commencer, signalons que le propos de Mary Zimmerman est de traiter l’ouvrage comme un opéra dans l’opéra, ce qui n’est déjà guère original.

Nous sommes donc à New-York, à l’époque actuelle, dans un studio de répétition ; l’ouvrage travaillé est bien entendu La Somnambule. Les chœurs répètent l’entrée sous la responsabilité du chef de chant. Lisa pleurniche dans son coin : coïncidence, elle aime effectivement dans la réalité Elvino (ou du moins son interprète). Entrée d’Amina, ou plutôt de son interprète qui chante son amour pour l’interprète d’Elvino (nouvelle coïncidence). La cabalette qui suit est prétexte à ce que l’interprète d’Amina pousse des aigus dans la reprise, à la vue des perruques horribles qu’on lui propose. Duo des interprètes d’Amina et Elvino, accompagnés par les chœurs qui ont entre temps cessé de répéter. La même musique et les mêmes mots servent donc à illustrer tour à tour la vraie Sonnambula (mais sous forme de répétition ce qui en détruit tout impact émotionnel), ou des scènes d’une histoire imaginée par Zimmermann (l’amour entre les deux interprètes principaux, par exemple) ou encore des scènes sans rapport avec le texte et la musique (le sketch des perruques). L’exercice tient à peu près les 20 premières minutes ; tout déraille avec l’arrivée du Comte (personnage étonnant dans l’univers en question et dont l’air n’a aucun sens dans le contexte) : celui-ci s’installe dans le studio pour dormir ; il rit des craintes des artistes new-yorkais terrorisés par une histoire de revenant (on y croit). Ces artistes ne sont décidément pas très futés puisqu’ils s’offusquent également de la présence de l’interprète d’Amina dans le lit du Comte (on y croit toujours). On se demande d’ailleurs si on est à New-York ou à Kaboul pour le spectacle de fin d’année de l’école coranique. Le scandale est tel que le spectacle est tout bonnement annulé : l’acte se conclut avec le plateau déchirant ses partitions, non sans joie d’ailleurs.

Devant tant d’incongruité, on renoncera à détailler la seconde partie. Signalons que Natalie Dessay chante sa scène de somnambulisme sur une planche surplombant l’orchestre (« Oooooh ! »). Quand elle reprend ses esprits, c’est pour se déguiser en paysanne tandis que le décor disparait. Dans l’hilarité générale, toute la troupe costumée entreprend une danse parodique, Dessay étant projetée en l’air par les chœurs pour un suraigu, exactement comme dans la Fille du régiment de Pelly. Bref, la grande rigolade.

Devant tant d’indigence et d’incohérence, on ne peut donc que saluer la salutaire manifestation du public américain.

 

La qualité musicale rattrape-t-elle la médiocrité dramatique ? Hélas, on en est loin.

Que dire de Natalie Dessay, totalement égarée dans un répertoire dont elle n’avait déjà pas les moyens à son zénith ? Nulle poésie dans cette voix sans couleurs, aux aigus poussés, aux graves inexistants, aux variations laborieuses et minimalistes. Quand on pense aux pyrotechnies auxquelles se livraient des voix autrement plus larges, on est d’ailleurs étonné d’un tel service minimum chez une chanteuse capable des plus folles envolées il y a quelques années. Heureusement, les pitreries de Natalie permettent à celle-ci de détourner l’attention du public de la platitude de son chant

 

A sa décharge, elle n’est guère soutenue par Evelino Pido, chef bombardé spécialiste du bel canto romantique mais qui n’y a jamais rien compris : coupures dignes d’une autre époque, strettes précipitées, moulinets décoratifs, sonorités d’orphéon municipal … tous les ingrédients de la vulgarité sont ici réunis.

 

Seul moment de bonheur dans cette triste soirée, la présence rayonnante de Juan Diego Florez dont les 10 minutes de sa grande scène de l’acte II valent à elles seules le déplacement. Certes, on pourra ergoter sur la puissance de la voix, sa largeur, sa spécificité plus rossinienne que bellinienne, il n’empêche que personne n’a jamais chanté ce morceau avec autant d’aplomb, d’insolence, mais aussi d’humanité.

 

Terminons en mentionnant un chœur correct, des seconds rôles de qualité, dont un Michel Pertusi de luxe en Comte, et un orchestre distrait ou tout simplement démotivé par la médiocrité de son chef. Une soirée à ne pas oublier : pour ne pas recommencer.

Placido Carrerotti

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