A l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven, on attendait au Theater an der Wien, un Fidelio surprenant. Représentations annulées au dernier moment pour cause de pandémie. La première n’aura pas lieu. Avant que tous les participants ne se dispersent, une mise en boîte est urgente. Une équipe dirigée par Felix Breisach réalisera une vidéo confinée à l’endroit même de sa création, sans aucun spectateur.
On le sait, l’unique opéra de « l’immense Beethoven », comme l’appelait Berlioz, a fait l’objet de trois remaniements en une dizaine d’années. Un pied dans le passé avec ses dialogues parlés alors démodés ; l’autre dans l’avenir par son inspiration musicale romantique pré-wagnérienne, l’œuvre a suscité la controverse, mais toujours forcé l’admiration. Depuis sa création, elle a été jouée à travers le monde, pratiquement sans interruption. Ceux qui ont relevé le défi ont eu le choix entre fresque historique, réalisme, transposition, distanciation… En charge de la mise en scène, l’acteur Christoph Waltz, bien connu des téléspectateurs autrichiens, a opté pour la version de 1806 créée sous le titre de Fidelio ou l’Amour conjugal – imposé au compositeur en dépit de sa préférence pour Léonore. Son originalité : un dispositif scénique épuré mais hautement symbolique conçu par l’agence d’architecture Barkow Leibinger. Il s’agit d’un gigantesque escalier en spirale dont les marches se déploient silencieusement autour d’un axe sur la totalité du cadre de scène. En haut, la clarté du jour ; en bas la noirceur des souterrains. Non seulement cet agencement autorise des entrées et des sorties fluides, mais il offre aux chanteurs et aux masses chorales un espace de jeu théâtral signifiant, magnifiquement éclairé selon le déroulement de l’action dramatique – sans nécessiter aucun mobilier. Les costumes modernes intemporels et pragmatiques contribuent à cette volonté de clarifier. L’excellente direction d’acteurs de Waltz prend ses racines dans la musique. Elle ne se limite pas aux mouvements, elle s’attache à faire ressentir les sentiments intérieurs des personnages, autant par l’expression de leurs visages et leurs attitudes que par les accents d’un texte précisément articulé. Soit-dit au passage, les sous-titres en français sont d’une limpidité exemplaire.
© monika rittershaus
Depuis la brillante ouverture de Leonore III, jouée avec toute la ferveur qu’on lui doit jusqu’au chœur conclusif qui aboutit à un tutti beethovenien de haute voltige, le chef autrichien Manfred Honeck dirige les Wiener Symphoniker avec une autorité qui n’exclut pas la légèreté et le sens du détail. Ancien violoniste et altiste dans ce même orchestre, devenu directeur musical à Pittsburg et Stuttgart puis chef invité privilégié à Prague, il se montre à l’écoute des musiciens. Très concentré sur la partition qu’il connaît à fond, sachant faire briller les nuances demandées par les vents délicats et les cordes vivaces de cette phalange hors pair, il semble faire de la broderie.
Le plateau vocal est remarquablement équilibré. Saluons d’abord, dans toutes les tessitures, les belles voix de l’Arnold Schönberg Chor minutieusement préparé par Erwin Ortner. Chacune de leurs interventions est un moment de théâtre et de chant qui renforce la profonde humanité de l’ouvrage. La charmante soprano française, Mélissa Petit, dont la carrière se déroule surtout dans les pays germaniques incarne à merveille le rôle de Marzelline. Charmant physique ; voix délicieusement mozartienne avec un joli legato et un timbre pur ; de plus, excellente actrice. Son soupirant éconduit, le ténor anglais Benjamin Hulett est un Jaquino à la voix claire et au tempérament dramatique affirmé. Tandis qu’avec son grave solide et son médium étendu, la basse Christof Fischesser, excellent diseur, sait rendre le personnage de Rocco tour à tour truculent, autoritaire et émouvant de tendresse, surtout dans les couplets et le quatuor. Servi par un organe puissant et une rage intrinsèque à son rôle, Gábor Bretz est un Pizarro aussi antipathique et menaçant qu’il le doit. Quant à la soprano Nicole Chevalier, en incarnant avec un égal bonheur, l’an dernier, les trois héroïnes des Contes d’Hoffman à Bruxelles, elle a démontré non seulement la richesse de son instrument vocal et l’excellence de son phrasé mais son immense talent de comédienne. Elle campe à Vienne un Fidélio bouleversant. Une femme abattue, à bout de forces mais tenace, qui bravera tous les dangers pour libérer son époux. Après une attaque un peu détimbrée, le ténor Eric Cutler, Florestan, recouvre ses moyens vocaux et sa musicalité pour chanter de manière fort émouvante le magnifique duo « O namenlose Freude » ! Par la puissance de l’amour conjugal, le prisonnier politique réhabilité échappe de justesse à la mort et l’impunité dont bénéficie le tyran relève de la mansuétude divine… La lumière devient éblouissante ; la joie, indescriptible.
https://www.arte.tv/fr/videos/096923-000-A/fidelio-de-beethoven-par-chri…