Le Royal Opera House achevait sa saison sur des notes verdiennes. Pour faire pendant à Otello et son orage d’ouverture, Covent Garden présentait Attila en version de concert. Œuvre encore prisonnière d’une gangue belcantiste en train de céder, elle exige des voix hybrides, à la fois capables de la virtuosité du début du 19e siècle tout en sollicitant fréquemment largeur de voix, sens du phrasé et de la ligne verdienne que l’on trouvera bientôt dans les chefs-d’œuvre de la maturité.
Le plateau réunit à Londres réalise la quadrature du cercle, même après le retrait de Sondra Radvanovksy (affligée par des circonstances personnelles difficiles). Le mérite premier en revient Maria-José Siri. Sa scène du prologue, pourtant crucifiante pour l’interprète, coche toute les cases : mordant des attaques, véhémence de l’expression, aigus dardés et technique belcantiste affirmée. Le soprano uruguayen affiche sa maitrise jusque dans la reprise de la cabalette, qu’elle varie élégamment et dans le style, sans extrapolation à l’aigu cependant. Dès lors, le reste du rôle ne lui pose aucune difficulté particulière et elle brosse un portrait convaincant de cette Judith romaine, déchirée entre amour et devoir. Ildar Abdrazakov se taille l’autre part du lion de la distribution et confère au chef des Huns la morgue du général grâce à son timbre sombre et son endurance, de même que la fragilité de l’homme au moyen de demi-teintes distillées avec intelligence. On retrouve Simon Keenlyside avec plaisir (Ezio), après quelques années de problème de santé. Si la voix s’est nasalisée, le chant n’a perdu aucun de ses autres atouts : phrasé, nuances et puissance vocale. Stefan Pop ferme la marche. Le rôle touche à ses limites vocales et la quinte supérieure se tend sans rompre. Enfin, Egor Zhuravskii (Uldino) et Alexander Köpeczi (Leone) complètent brillament la distribution. Le premier dispose d’un timbre clair et d’une ligne de chant juvénile pour incarner l’aide de camp quand le second s’appuie sur une voix profonde et sonore pour donner chair aux menaces du rêves d’Attila. Les chœurs de Royal Opera House exposent leur homogénéité et leur bonne préparation. Toutefois, en raison du placement en fond de conque scénique leur italien est peu intelligible.
L’ultime atout-maitre de cette version de concert se trouve sans aucun doute sur le podium. Speranza Scappucci embrasse d’un geste clair et précis la partition et son ambivalence. Elle s’autorise les rubati et accelerandi indissociables aux styles du premier Verdi, trouve les bons équilibres et les bons tempi et soigne les couleurs et interventions des pupitres. Son sens théâtral fait le reste et offre une soirée épique au public du Royal Opera House.