Cinq ans déjà que nous a quittés celle qui fut pendant à peine deux décennies l’une des personnalités les plus attachantes de l’art lyrique. Lorraine Hunt (1954-2006) fut rejointe en avril dernier par le compositeur Peter Lieberson (1946-2011), qu’elle avait épousée en 1999. Révélée en France par le Don Giovanni de Peter Sellars créé au Pepsico Summerfare Festival et repris en 1989 à Bobigny (DVD Decca), elle était incontestablement le meilleur élément de la distribution du Giulio Cesare qu’on a pu voir en 1990 à Bruxelles et à Nanterre (DVD Decca) ; toujours dans le rôle de Sesto, on se la rappelle notamment escaladant un palmier pour échapper à un crocodile affamé dans la production de Nicholas Hytner à Garnier en 1997. Lorraine Hunt était très vite devenue l’une des voix indispensables de la renaissance baroque : aucun de ceux qui l’ont entendue n’aura pu oublier sa magistrale prestation dans Médée de Charpentier (Opéra-Comique, 1993), ou sa Phèdre incandescente dans Hippolyte et Aricie (Garnier, 1996). En 1999, elle fut Ottavia dans le Couronnement de Poppée aixois ; hélas, le spectacle ne fut filmé que lors de la reprise, l’année suivante, où elle avait dû céder la place à l’excellente Sylvie Brunet. Lorraine Hunt luttait alors contre le cancer du sein qui allait finalement l’emporter. On la vit au Châtelet en décembre 2000 dans El Niňo de John Adams (DVD Arthaus). Actrice-née, Lorraine Hunt était capable faire le grand écart entre les audaces pas toujours inspirées d’un Peter Sellars et les platitudes chichiteuses de l’Ariodante monté en 1995 au festival de Göttingen. Que ne l’a-t-on davantage filmée, notamment en Didon dans Les Troyens au Met en 2003?
Harmonia Mundi nous offre ici un florilège compilé à partir de son catalogue. Le CD est-il le meilleur moyen de rendre hommage à une personnalité qui s’épanouissait particulièrement en scène ? Les enregistrements de studio peuvent-ils rendre justice à une chanteuse que le contact avec le public galvanisait (seuls les airs de Susanna sont extraits d’un live) ? Nicholas McGegan, chef si raide, si peu imaginatif, qui la dirigea dans tous ses enregistrements haendeliens, était-il le mieux placé pour mettre en valeur les qualités d’une interprète aussi sensible ? Non, non et non. Mais en l’absence d’un DVD qui nous la ferait non seulement réentendre mais aussi revoir, on remerciera Harmonia Mundi de nous offrir ce bouquet essentiellement consacré à Haendel.
Cette voix étendue, à cheval sur plusieurs tessitures, semblait se plier aux desiderata des chefs : le livret la présente d’ailleurs comme soprano dans Theodora et dans Susanna, et comme mezzo dans Ariodante, Le Messie et dans les rôles que Haendel écrivit pour laDurastanti. Bouleversante Irene dans Theodora aux côtés de Dawn Upshaw à Glyndebourne en 1996 (DVD Kultur Video), Lorraine Hunt s’était vu confier le rôle-titre dans la version enregistrée en 1991 par McGegan. Dans Ariodante, « Scherza infida », pris ici à une vitesse dont on a perdu l’habitude, est attaqué par la chanteuse avec l’énergie du désespoir. Et cet air lui va comme un gant, elle qui n’était jamais aussi dans son élément que lorsqu’elle jouait les personnages suicidaires. Les arias allègres ne la prennent pourtant pas en défaut, loin de là : Lorraine Hunt savait vocaliser avec vélocité, mais combien le mode élégiaque lui convenait mieux ! Les victimes du destin, les Theodora, Susanna et autres Didon étaient faites pour elle.
Parmi les divers hommages de ceux qui l’ont connue et admirée, le livret propose une version révisée de la nécrologie parue dans Le Monde en 2006. Renaud Machart a mille fois raison d’y évoquer Kathleen Ferrier : sans en avoir la voix de contralto, Lorraine Hunt avait incontestablement quelque chose de Ferrier, dans le timbre, dans l’émotion intense et dans cette sincérité presque enfantine qui la rendent à jamais irremplaçable.